Qui ose vaincra
le
lieutenant traduit une tout autre réponse. Toujours déchaîné, l’officier
supérieur poursuit son monologue :
« Le major déplore
de ne pas être chargé lui-même de vous passer par les armes. Il a reçu l’ordre
de vous livrer à la Luftkommandantur d’Heraklion qui vous réclame. Vous
serez fusillés là-bas. Un tribunal d’exception siégera demain matin en votre honneur. »
Après le départ du major
qui s’effectue aussi brusquement que son arrivée, les trois Français sont rattachés.
Cette fois on leur entrave également les pieds. Ils sont jetés comme des sacs
sur le plateau d’un camion bâché. Toujours souriant, le lieutenant s’approche
du camion :
« Je n’ose pas vous
souhaiter bon voyage, commandant. Mais j’aimerais que vous sachiez que je ne partage
pas l’opinion de mon chef, je pense que vous êtes trois soldats parmi les meilleurs. »
L’officier allemand
salue respectueusement. Toute attitude narquoise l’a abandonné. Pour la
première fois, il paraît sincère.
Le lourd véhicule
progresse régulièrement, sans se soucier des nombreuses imperfections de la
route. Chaque cahot secoue les prisonniers entravés, chaque choc provoque des
douleurs impossibles à éviter.
« Vous pensez qu’on
va nous fusiller demain, mon commandant ? demande Sibard.
— C’est probable, mon
vieux, nous connaissions avant de partir les risques que nous courrions. La mission
a réussi, c’est l’essentiel. Pensez-y. Pensez aussi à Pierrot, ça vous donnera
du courage. »
Dans la nuit, le convoi
arrive à l’aérodrome d’Heraklion. Les prisonniers traversent le lieu de leurs
exploits ; ils peuvent apercevoir les carcasses calcinées des appareils qu’ils
ont détruits, puis on les jette dans des cellules individuelles.
Il est 8 heures du matin,
le 20 juin. On leur a passé les menottes. Mouhot et Sibard sont assis, les
mains reposant sur leur ventre. Il y a vingt minutes que Bergé est entré dans
la salle dans laquelle siège le tribunal d’exception. Il ressort ; on le
fait asseoir près de ses hommes.
« Nous devons êtes
fusillés demain à l’aube, déclare-t-il sans émotion. Mais faites attention, c’est
un tribunal de maîtres chanteurs. Bouclez-la sur toutes leurs questions. Ils
vont vous promettre la vie contre des renseignements. Croyez-moi, ça ne
changerait rien, ils ne tiendraient pas leur parole. »
Devant le tribunal
présidé par un général de la Luftwaffe, les deux Français tiennent le coup sans
faiblir. Mouhot joue les butés, Sibard, les abrutis. Les Allemands n’apprennent
rien d’eux. Comme Bergé, ils sont condamnés à mort.
Pendant près de
vingt-quatre heures, ils se préparent à mourir. Aucun espoir ne subsiste en eux,
et pourtant la matinée du 21 juin se passe sans que rien ne se produise, rien d’autre
que la visite d’un feldgrau hébété qui leur apporte une boule de pain et
une soupe.
Pendant dix jours, les
trois parachutistes vont vivre dans une abominable, cruelle, inhumaine
incertitude, soumis tour à tour au régime sadique ou bienveillant d’une
lamentable douche écossaise. Des hommes viendront les rassurer par le judas de
leur cellule, d’autres les exciter en leur promettant une exécution imminente. Avant
chaque aube, ils demeurent des heures, haletants, attentifs au moindre bruit
inhabituel.
Le 2 juillet, les trois
Français sont extraits de leur cachot. Ils ne se sont pas vus depuis la séance
du tribunal. Deux soldats les convoient jusqu’aux toilettes ; on leur
distribue des rasoirs, du savon.
« Vous croyez que
ça y est, mon commandant ? interroge Mouhot.
— Je n’en sais pas
plus que toi, mais de toute façon, je préfère mourir propre et rasé. »
On leur donne une
chemise et un pantalon décent, une paire de bottines de toile. Ils sont ensuite
accompagnés en voiture en bordure du camp, à l’intérieur d’une villa. Dans un
salon sobre, ils sont mis en présence de plusieurs officiers aviateurs. Le plus
haut en grade est un très jeune colonel qui prend la parole dans un français
parfait :
Asseyez-vous, Bergé. Je
dois dire qu’à cause de vous j’ai eu bien des ennuis. Votre sabotage a
compromis mon avancement. »
Un commandant l’interrompt
en allemand. D’un signe de tête le colonel approuve :
« C’est juste, poursuit-il
en français, il nous semble plus humain de vous annoncer avant toute chose que
le Führer a décidé de vous
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