Qui ose vaincra
l’autre versant, les S.A.S. se retournent et contemplent
leur exploit. C’est inimaginable. Le camp est un brasier géant. Des ombres
furtives et affolées courent dans tous les sens, pendant que s’éloignent les
appareils de la Royal Air Force. Vingt-six avions ennemis ont été anéantis au
sol. Du matériel divers a été en outre saboté. Bergé étreint le bras de Jellicœ :
« Ils ont compris
là-haut, mon vieux ! Ils savent que nous avons réussi ! Au Caire, à
Londres, à bord des navires du convoi, dans moins d’une heure ils le sauront
tous !
— Indéniable !
Et les Allemands ne paraissent pas toujours avoir réalisé. Je crois que nous
ferions bien de parcourir le maximum de chemin avant qu’ils comprennent. Nous
nous congratulerons plus tard. »
Ils repartent à une
cadence d’enfer.
Les premières lueurs de
l’aube commencent à poindre lorsque le commando parvient à la grotte où
Petrakis les attend. Bergé décide alors de prendre le risque de marcher de jour.
À travers les montagnes et les maquis ce n’est pas trop risqué. De toute façon,
c’est une carte à jouer. Ils doivent s’éloigner. Ce n’est pas au sud qu’on ira
les chercher.
Pendant cinq jours et
cinq nuits, les parachutistes vont marcher comme des robots. Au hasard de terrains
couverts, de caches sûres, ils s’affalent pour dormir quelques heures. Les
points d’eau sont rares ; la soif, la faim, la fatigue les tenaillent, les
obligent à prendre le risque de mendier quelque nourriture à des paysans qui
les prennent pour des Allemands.
À l’aube du 19 juin, leur
but est enfin atteint. Depuis la veille, Bergé et Jellicœ ont pu déterminer
avec certitude leur position. Le commando se trouve à moins de dix kilomètres
du village de Vassilika-Anoya, point de contact prévu avec un résistant grec
qui doit les conduire sur la grève près de laquelle les attend le sous-marin
dans le courant de la nuit.
Bergé estime qu’il
serait imprudent de gagner le village en groupe. Il désigne Jellicœ et Petrakis
en avant-garde. Dès qu’ils auront établi le contact, l’un d’eux reviendra
prévenir les quatre autres. Tous feront alors mouvement à la nuit tombée.
Bergé, Mouhot, Sibard et
Léostic commencent leur attente à l’abri d’un petit mur de pierres grossières. Leurs
provisions sont totalement épuisées. Ils n’ont rien bu, rien mangé depuis
vingt-quatre heures. Barbus, les yeux exorbités par l’effort et la fatigue, les
lèvres boursouflées, crevassées, rongées par le soleil et l’air brûlant, les
battle-dress en lambeaux, les chaussures déchiquetées, les mains couvertes de
plaies vives, les genoux et les cuisses égratignées, les quatre parachutistes
restent prostrés, amorphes, ne parvenant même pas à se réjouir de la proche délivrance
qu’ils escomptent.
Ils sont dans un tel
état d’épuisement et de relâchement qu’ils n’entendent pas arriver l’homme qui
débouche sur eux. L’arrivant est vêtu plutôt comme un villageois que comme un
paysan, et ne semble pas surpris par leur présence. Il se veut jovial, amical ;
en souriant, en faisant des gestes, il répète sur un ton interrogatif le seul
mot d’anglais qu’il semble connaître : « Paratroop, paratroop !… »
L’homme s’accompagne d’un
geste tendant à désigner un corps qui tombe du ciel. Bergé s’est levé, a jeté
un regard circulaire, a constaté que le Grec semble seul.
« Il a compris, mon
commandant, grince Sibard entre ses dents.
— Sans aucun doute,
réplique Bergé, et nous n’avons plus d’interprète. »
Il dégaine son Colt, l’applique
sur la panse opulente du Grec. De la main gauche il lui intime l’ordre de s’asseoir.
L’homme ne semble pas effrayé ; il conserve son sang-froid, se lance dans
un charabia inintelligible, mais, par gestes, parvient à faire comprendre qu’il
est un ami, qu’il se propose pour aller chercher du ravitaillement.
Bergé hésite longuement.
C’est l’état de ses hommes qui le décide à faire confiance au Crétois. Après
une nouvelle journée passée à attendre dans cette fournaise, auront-ils la
force de reprendre la route ? Il leur reste une quinzaine de kilomètres à
parcourir.
L’homme explique l’heure
de son retour sur le chronomètre de Bergé. Il étreint la main des parachutistes
et s’éloigne. Il revient vers 10 heures du matin ; il apporte des
courgettes, deux litres
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