Qui ose vaincra
gamins armés de
lance-pierres ? Possible après tout, mais Fueller en doute. De toute façon,
maintenant, il n’a plus le choix. Il va transmettre un ordre qui lui répugne, décharger
sa responsabilité sur un homme qu’il méprise. Il gagne la porte, réclame à la
sentinelle de garde l’adjudant-chef Munch.
L’animosité du
commandant vis-à-vis d’Ernst Munch est réciproque. L’adjudant-chef est un blond
aux yeux pâles, au teint cireux, aux lèvres minces. La pénurie de cadres lui a
permis de former et de commander une compagnie qu’il a forgée à son image. Il a
choisi lui-même ses hommes : tous des tueurs.
Munch se tient au
garde-à-vous. Son regard flou et la courbe de ses lèvres minces suffisent à
trahir le peu d’estime dans laquelle il tient son chef. Fueller se fout de l’opinion
du sous-officier, c’est plutôt pour lui-même qu’il tente de se justifier.
« Les ordres du
général Koltitz me contraignent à vous confier l’assainissement de la forêt de
Duault. Partez immédiatement, faites-moi un rapport biquotidien.
— J’ai carte
blanche, mon commandant ? »
Fueller se retourne, plonge
son regard dans le parc ; il devine derrière lui le sourire du
sous-officier. Il n’ose faire face pour l’affronter et songe que c’est sa
deuxième lâcheté de la matinée.
« Vous avez carte
blanche », articule-t-il enfin.
La traction avant
repeinte couleur caca-d’oie vient de passer Callac. Le chauffeur est habile, il
conduit très vite, mais sûrement. Depuis une dizaine de kilomètres, il a lâché
les trois camions qui transportent la compagnie Munch.
À l’arrière de la
traction, Munch est vautré aux côtés du sergent qui le seconde. À l’avant, près
du chauffeur, un Français d’une trentaine d’années – les sous-officiers l’appellent
Joseph – ne semble pas à l’aise dans son rôle de traître. La chaleur de ses
convictions est visiblement tombée depuis l’annonce du débarquement allié. Mais
surtout Munch vient de lui jouer un tour de cochon. Pendant deux heures, à
Belle-Isle-en-Terre, il lui a fait lâcher les noms de tous les suspects du
village de Duault. En échange, l’Allemand avait promis à Joseph qu’il ne
participerait pas à l’expédition. Mais une fois les noms donnés, l’adjudant
avait éclaté de rire. Alors que Joseph s’apprêtait à prendre congé, il l’avait
attrapé par le bras sans ménagement, et traîné jusqu’à la traction.
« Qu’est-ce que tu
crains ? avait-il plaisanté cyniquement. Tu combats du bon côté, non ? »
Joseph était connu de
tous à Duault, et si jamais la roue tournait, sa peau ne vaudrait plus très
cher. En voyant défiler la route qu’il connaissait mètre par mètre, Joseph s’efforçait
de chasser de son esprit cette pensée inconfortable.
À Duault, le sinistre
ballet commence avec l’arrivée de la troupe. Les maisons sont visitées et pillées ;
les hommes frappés à coups de crosse ; vitres, meubles, portes sont brisés.
Munch n’arrête ses hommes déchaînés que pour poser sa question : « Où
sont les terroristes ? »
Le village se tait. Personne
ne sait rien. Les hommes serrent les dents sous les coups ; les femmes
assistent en silence à la démonstration de terreur.
« J’emmène des
otages, déclare enfin Munch. Je reviendrai demain. Si l’un de vous ne s’est pas
décidé à parler, ils seront fusillés. »
Six hommes sont choisis
au hasard. Sans hésitation, ils montent dans les camions.
Dans la matinée, à
quelques kilomètres de là, un incident mineur en soi s’est produit, mais qui
pourtant va s’avérer tragique de conséquence.
Un élément léger du
Génie allemand avait été chargé de baliser les chemins vicinaux qui longent la
lisière de la forêt. Le travail des soldats avait été observé par un résistant F.T.P.
qui, tout naturellement, avait tourné les pancartes après le passage des
soldats, dans le but évident de brouiller l’ennemi. Et c’est précisément ce
chemin que Munch a décidé d’emprunter pour gagner Maël-Pestivien où il a donné
rendez-vous au reste de sa compagnie, qui, elle, prendra l’axe
Callac-Saint-Servais.
Il est 18 h 30,
il pleut à torrents. Bernée par les poteaux sabotés, la traction cahote dans un
chemin boueux et s’enfonce au cœur de la forêt. À l’arrière, Munch vocifère à l’adresse
de son chauffeur qui n’y peut rien : faire demi-tour
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