Qui ose vaincra
permet à Botella d’étendre son dispositif, d’installer
ses hommes de telle façon que leur attaque se déclenche avec un maximum d’efficacité.
« Que personne ne
tire avant moi, faites passer la consigne », ordonne-t-il.
Alors il laisse
approcher la proie, cette cible horizontale géante qui se découpe avec une
netteté croissante.
Les Allemands ne sont
pas à plus de trente mètres lorsque Botella ouvre le feu à la mitraillette, atteignant
trois soldats, et aussitôt c’est le carnage, l’hécatombe. Les fusils
mitrailleurs crachent la mort à une cadence hallucinante. Les Français sont dix
fois moins nombreux, mais leur ennemi n’a aucune chance ; il ne cherche
même pas à riposter ; tout ce qu’il veut c’est fuir, trouver un abri qui n’existe
pas.
Le champ est jonché de
cadavres, d’agonisants, de blessés qui tentent de s’éloigner en rampant. Dans
les rangs des parachutistes, l’excitation est à son comble, les hommes se
sentent invincibles, invulnérables. Il faut le sang-froid et la science militaire
de leurs chefs pour calmer leur enthousiasme. Certains s’exposent inutilement, poursuivant
des fuyards.
Le lieutenant Lasserre a
rejoint Botella, les deux officiers cherchent à analyser la situation sans
fièvre.
« C’est
inimaginable ! Ils sont fous !
— Je ne pense pas
que ce soit tellement incroyable, remarque Botella. Ils ne savaient pas, ne
pouvaient se douter. Ils pensaient à quelques petits groupes camouflés en forêt,
c’est pourquoi ils ont employé le moyen le plus rapide pour y pénétrer et
quadriller. Ils ne savaient pas. Seulement, maintenant, ils savent.
— Vous pensez que
nous allons avoir droit à une autre musique ?
— Une tout autre
musique, sans aucun doute. »
Sous les ordres du
capitaine Leblond, tout le dispositif est changé, les parachutistes et les
partisans attendent l’assaut des renforts allemands qui – ils en sont persuadés
– ne manquera pas de se produire.
C’est vers 15 heures que
les premiers mouvements ennemis sont décelés. Cette fois c’est du dur : des
compagnies entières se groupent, cherchent à encercler la forêt, il en arrive
de partout. Les Allemands sont au moins vingt fois plus nombreux que leur proie,
et pourtant la bataille va durer plus de quatre heures.
Les parachutistes et les
partisans provoquent de nouveau une hécatombe dans les rangs des Allemands qui,
pas à pas, les étreignent, resserrent la mâchoire de la tenaille, selon un plan
précis qui ne pèche que par le mépris des vies humaines. On sent que les
Allemands veulent être maîtres de la forêt avant la nuit, et cela quel qu’en
soit le prix.
Aux alentours de 17
heures, le groupe Botella est sur le point d’être débordé. C’est la quatrième
fois qu’il se replie et les coups qu’il porte à ses assaillants paraissent sans
effet. Les Allemands semblent sortir de partout, bondissant d’arbre en arbre, progressant
vers eux mètre par mètre.
Botella se trouve à l’avant
de son groupe. Il recharge sa mitraillette, se retourne et hurle en direction
de ses hommes :
« Repliez-vous d’au
moins cent mètres ! Cherchez des abris ! Je vous rejoins. »
Puis le lieutenant tire
en direction des Allemands qui s’apprêtaient à suivre ; il lance deux
grenades, incitant l’ennemi à moins de témérité, permettant aux parachutistes
de décrocher.
Pendant plusieurs
minutes Botella tire encore, puis il bondit dans l’espoir de gagner les
nouvelles positions. Alors une rafale l’atteint à la cuisse, une balle sous le
gras de la fesse, deux autres plus bas. Le lieutenant s’écroule, rampe derrière
un arbre, lâche une nouvelle rafale en direction des Allemands pour bien leur
prouver qu’il est encore vivant. Sa jambe blessée est paralysée, il perd son
sang, ses forces l’abandonnent. Il ne lui reste plus qu’une issue : vendre
chèrement sa peau, ce qui permettra à ses hommes de respirer. Il se retourne, essaie
de situer la position des siens. Alors, il aperçoit un homme qui bondit d’abri
en abri avec une agilité de kangourou.
« J’ai donné l’ordre
de repli ! hurle Botella. Fous le camp, ça ne sert à rien. »
L’homme poursuit son
avance. Botella crie à nouveau.
« Fous le camp !
C’est un ordre ! Fous le camp ! »
Sourd, le coureur
poursuit son avance. Autour de lui les balles crépitent, mais, derrière, la
section des parachutistes le couvre.
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