Qui ose vaincra
incendiée. L’air est irrespirable. Le véhicule
approche dangereusement des flammes. Les hommes toussent, pleurent, enfouissent
leurs têtes dans leurs bras et cherchent un filet d’air filtré à travers les
manches de leurs vareuses. Au bord de l’asphyxie, le chauffeur emprunte
derrière la ferme le sentier qui s’engage dans la forêt. Il a juste le temps de
respirer trois bouffées d’air avant de tomber dans la seconde embuscade, celle
du sergent Litzler.
Pour Litzler et ses
hommes, ça va être un jeu, un véritable tir aux pigeons : un seul camion
chargé de soldats aveuglés par leurs larmes, handicapés par les quintes de toux
qui les secouent.
Alors, c’est le drame. Du
camion parvient un hurlement « Arrêtez, nom de Dieu ! On est là, arrêtez !
Arrêtez ! »
Aussitôt Litzler ordonne
le « cessez-le-feu ». Les Allemands en profitent. Ils sautent du
camion et gagnent le bois, entraînant Ruelle avec eux. Il n’est plus question
de chasseurs et de proie, mais de deux groupes bien armés, disposant des mêmes
ressources, des mêmes abris.
Il est trop tard lorsque
Litzler réalise son erreur, et il n’a même pas sauvé la vie des prisonniers. La
faiblesse provoquée par sa blessure empêche Ruelle de suivre. Un soldat s’en
débarrasse en l’achevant d’une balle dans la nuque.
Au cours de l’accrochage
qui suit, deux parachutistes sont tués sur le coup. Litzler est atteint d’une
balle dans la poitrine. Le sergent paiera de sa vie son réflexe d’humanité et
de camaraderie.
Personne ne s’est aperçu
que deux hommes n’ont pas évacué le camion : Bourdon, le parachutiste
français que sa blessure au flanc paralyse, et un Allemand – un tout jeune
garçon, seize ans, peut-être quinze.
L’effroi a déclenché
chez l’adolescent une crise nerveuse. Depuis plusieurs minutes, il vibre, les
yeux exorbités, les membres figés. Assis sur la banquette de bois, il fixe
Bourdon couché à ses pieds. Brusquement le jeune garçon se détend, dégaine son
poignard et tranche la gorge du parachutiste. Debout, il reste prostré, contemplant
son œuvre, horrifié. Alors, comme un automate, il se saisit de son fusil qui
est resté sur le banc – un lourd Mauser à cinq coups dont, au fil des mois, la
bretelle a marqué son épaule d’une meurtrissure bleuâtre. Il s’assoit sur le
banc, cale la crosse sur le sol, laisse peser sa tête sur le canon de l’arme qu’il
déclenche d’une pression du pouce. La balle traverse son crâne proprement ;
il meurt dans cette position.
17
En lisière de forêt, Botella
est persuadé que le groupe Litzler a exterminé le troisième camion. Il s’apprête
à donner l’ordre de décrocher lorsqu’une estafette arrive, porteuse d’un
message du capitaine Leblond. Les postes d’observation signalent que des
renforts massifs d’Allemands s’apprêtent à pénétrer dans le bois : des
positions de combat doivent être trouvées. À son tour, Botella désigne un homme
chargé de transmettre les consignes aux groupes Metz et Litzler (dont il ignore
la blessure) et Lasserre.
De nouveaux points d’embuscade
sont mis en place, les armes sont rechargées, les munitions acheminées en hâte
et, de nouveau, l’attente commence.
Botella s’est embusqué
dans un fossé providentiel. Les fusils mitrailleurs sont masqués par de hauts
herbages ; derrière lui, il y a la forêt qui permettrait un éventuel repli ;
devant, dans son axe de tir, un immense champ nu.
Le lieutenant Botella ne
croit en rien à l’utilité de sa position. Aucun militaire ne songerait à
progresser dans un espace aussi découvert ; pourtant on ne peut négliger l’endroit,
en faire un trou dans le dispositif.
Les parachutistes sont
décontractés ; ils fument tranquillement ; ils ne risquent rien, il
faudrait un quart d’heure à un coureur à pied pour franchir l’espace vide qui s’étend
devant eux.
Et pourtant l’inimaginable
se produit. Botella n’en croit pas ses yeux. À l’horizon, à l’autre bout du
champ, une rangée de camions amène la Wehrmacht. Cent cinquante hommes, peut-être
deux cents, évalue le lieutenant, les jumelles vissées aux yeux. Les Allemands
se disposent en ligne, forment un long chapelet, avancent lentement, gênés par
la lourdeur du terrain. On dirait une troupe de rabatteurs de gibier un matin d’ouverture
de chasse en Sologne.
La lenteur de la
progression allemande
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