Qui ose vaincra
transparente des parachutes. Botella a les yeux fixés sur le croissant
de lune qui se dessine phosphorescent. Jusqu’à minuit les Allemands ont fouillé
la forêt. À plusieurs reprises, les blessés les ont entendus tout proches ;
par miracle, ils n’ont pas été découverts.
Les deux blessés et le
mourant ont de l’eau, une gourde de whisky, des biscuits, du fromage en boîte, des
lancettes de morphine et leurs Colts chargés de neuf balles.
À l’aube, Botella s’est
assoupi, Lasserre le réveille :
« Je crois que
Litzler vient de passer, vieux. »
Botella se retourne, parvient
à se tenir en équilibre sur son coude. Il regarde le grand sergent : il
est mort les yeux ouverts, fixés vers le ciel pur qui s’éclaircit doucement, filtré
par la soie diaphane. Un poil dru de trois jours recouvre ses joues de marbre. Comme
ses compagnons, Litzler est allongé sur un parachute. Au prix de douloureux
efforts, les officiers en tirent les bords à eux. Botella ferme les yeux du
sergent et le recouvre de la soie bariolée.
Lasserre se sent la
force et l’envie de parler, mais il n’ose pas. Il redoute l’échange de leurs
craintes. À quoi servirait-il de s’ouvrir sur la mort qui les attend, de savoir
dans combien de temps ils se décideront à se tirer une balle dans la tête ?
Ils se font une piqûre de morphine et s’apaisent tous les deux.
Botella ouvre les yeux
vers 11 heures : deux gamins d’une dizaine d’années sont à l’entrée de l’abri
et les observent, bouche bée. Botella veut parler ; les gosses détalent
épouvantés.
19 heures. La lumière
baisse, rien ne s’est produit de l’après-midi. Les deux hommes ont bu quelques
gorgées d’eau, tenté en vain de croquer un biscuit ; Lasserre se plaint de
sa poitrine, de sa blessure qui le démange dans le dos, à l’endroit où la balle
est sortie et sur lequel repose tout le poids de son torse. Mais depuis un
instant ils se taisent, figés et attentifs à un bruissement furtif qui leur
parvient. Quelqu’un marche autour de leur abri. Botella arme son Colt après l’avoir
enveloppé de la soie de son parachute pour étouffer le cliquetis. Et puis, il
pense rêver.
Une jeune fille se tient
droite dans l’ouverture. Timidement, elle sourit. Elle doit avoir une vingtaine
d’années. Botella remarque les dents étincelantes, le regard vif : ce n’est
pas une paysanne, malgré ses vêtements grossiers, son pantalon de velours serré
dans des bottes de caoutchouc, son chandail bleu de marin, à col roulé.
« Bon Dieu, qui
êtes-vous donc ? demande Lasserre.
— Ne parlez pas. Économisez
vos forces, ne craignez rien, chuchote la jeune fille. Mon nom est Edith Moquet.
Je vais aller chercher du secours. Attendez-moi et ne désespérez pas. »
À 1 heure du matin, pourtant,
Botella et Lasserre ont perdu tout espoir. Ils sont à bout de forces. Ils se
demandent s’ils n’ont pas rêvé l’apparition de la soirée. Alors, une nouvelle
angoisse les étreint : ils perçoivent le bruit d’un moteur. Un véhicule s’approche,
semble venir droit sur leur abri.
Une fois encore ils s’emparent
de leurs pistolets, attendent, anxieux, les yeux rivés sur l’éclair
intermittent d’une lampe électrique qui fouille la nuit.
« N’ayez pas peur, c’est
moi », à la prudence d’annoncer Édith Moquet avant de se glisser sous l’abri.
Elle entré, suivie de
trois hommes, puis présente :
« Voici le docteur
Lebreton, mon beau-frère. Nous avons trouvé une camionnette, nous allons vous
transporter dans un lieu sûr.
— Je m’occuperai de
vos blessures après, interrompt le médecin. Nous avons apporté une civière, ces
deux hommes vont vous porter au véhicule. Nous reviendrons demain ensevelir
votre malheureux compagnon.
— Vous savez ce que
vous risquez, docteur ? Vous aussi, mademoiselle ? »
Lebreton hausse les
épaules.
La camionnette à
gazogène roule péniblement ; par moments, elle s’étouffe, les phares
camouflés tracent sur la route un minuscule faisceau. Les fugitifs ont passé
Saint-Servais et Maël-Pestivien ; la route est absolument déserte. Ils ont
parcouru une vingtaine de kilomètres avant d’emprunter un chemin vicinal. Maintenant,
ils roulent dans un sentier, empruntent une voie à peine tracée à travers bois
et s’arrêtent en bordure d’un ruisseau devant un moulin en ruine.
« Il appartient à
ma famille, explique le médecin.
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