Qui ose vaincra
Botella lui aussi tire maintenant en
direction de l’assaillant. Derrière lui l’homme le rejoint.
« Ça va te coûter
cher, grince Botella. Refus d’obéissance au feu.
— Ça va me coûter
que dalle, réplique le gars, parce que je suis pas soldat. »
Botella s’aperçoit
seulement que c’est Chariot, le titi dont personne ne voulait.
« Si vous vouliez
me donner des ordres, fallait m’engager, c’est pas faute de vous l’avoir
demandé. »
Chariot charge le
lieutenant sur son dos et, en rampant, parvient à s’éloigner en restant dans l’axe
d’un arbre protecteur ; puis il trouve un nouvel arbre, un nouvel axe.
L’homme et son fardeau
progressent mètre par mètre, mais ils progressent. Ils passent la compagnie
embusquée. Alors Chariot se relève, soulève le lieutenant, le bloque sur ses
épaules et le porte à travers la forêt vers un abri fait de parachutes tendus
qui sert d’infirmerie provisoire.
Botella est allongé aux
côtés du sergent Litzler qui agonise et du lieutenant Lasserre dont la poitrine
a été traversée par une balle. Le docteur Sassons, médecin parachutiste, leur
donne les premiers soins, fait un garrot, un pansement, administre une piqûre
de morphine.
Botella s’assoupit ;
sa jambe s’engourdit, la douleur s’estompe sous l’effet de la drogue. Il
constate que la bataille se calme, l’intensité du tir faiblit : il semble
que, des deux côtés, on ait décidé de reprendre son souffle. Les Allemands
doivent évacuer leurs blessés et leurs morts.
Charlot est assis aux
côtés du lieutenant, la tête à hauteur des genoux. Il a expliqué :
« C’est pas la
peine que j’y retourne, j’ai plus de munitions. J’avais onze cartouches, je les
ai tirées, et puis c’était du plomb à perdreaux. »
Botella trouve la force
de sourire : c’est vrai qu’il a refusé d’enrôler et d’armer ce gosse qui
vient de lui sauver la vie au péril de la sienne.
Vers 18 heures, un
groupe arrive à l’abri, précédé par le capitaine Leblond. Les hommes sont
hagards, harassés, maculés de boue. Ils se laissent choir sur place, les yeux
vides.
Leblond n’est pas plus
brillant ; il se baisse pour se glisser sous la voûte de parachutes et s’assoit
sur une pierre. Il constate que Botella et Lasserre sont conscients, Litzler
toujours dans le coma. Le commandant Leblond fait un effort pour ne pas baisser
les yeux en parlant.
« Je viens de
recevoir l’ordre d’évacuer Samwest sur Saint-Marcel, la base du Morbihan, annonce-t-il.
— Vous pouvez
passer ? interroge Botella.
— Il semble qu’il y
ait une brèche à l’ouest dans le dispositif des Boches. Après on se démerdera
par petits groupes pour traverser la Bretagne. Oh ! ce n’est pas joué !
Mais ce sont les ordres et, pour une fois, ils semblent cohérents. »
Leblond marque une
hésitation, puis semble faire un effort surhumain.
« Écoutez, Botella…
— Oh ! ne vous
fatiguez pas, mon capitaine ! Je sais parfaitement que vous ne pouvez pas
vous encombrer de nous. Laissez tomber la corde sensible, vous avez mieux à
faire. Si on commence à s’apitoyer sur nos sorts respectifs, on n’en sort plus.
Et puis je ne vous vois pas tellement plus beau que nous ! Allez, au
revoir, et bonne chance ! »
Leblond serre la main de
Botella et de Lasserre, puis son regard se pose sur Litzler qui râle
irrégulièrement :
« Vous voulez qu’on
le transporte plus loin ?
— Laissez-le mourir
entre nous, qu’est-ce que ça change ?
— Et celui-là ?
interroge Leblond en désignant Charles Moreau qui n’a pas bougé.
— C’est Charlot, le
partisan qui m’a ramené.
— Je reste avec
vous, mon lieutenant, annonce Charlot.
— Merci, mon gars, réplique
Leblond, je te proposerai pour une citation.
— Mon capitaine, interrompt
Botella, une faveur avant votre départ.
— Tout ce que vous
voulez, mon vieux.
— J’ai refusé d’enrôler
Moreau chez nous. Depuis il a fait ses preuves. Alors, faites-en un S.A.S., il
le mérite.
— Accordé, Botella.
— Tout de suite, mon
capitaine.
— D’accord. Tu peux
te considérer comme un des nôtres, Moreau. Tu signeras plus tard.
— Maintenant, mon
capitaine, ordonnez-lui de vous suivre et de me foutre la paix.
— Tu as entendu, Moreau !
Exécution !
— Allez, Chariot, casse-toi !
ajoute Botella. Et merci ! Va te faire tuer ailleurs. »
La nuit est superbe sous
la soie
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