Qui ose vaincra
de mitrailleuses au
point exact d’où les parachutistes français les observaient, toute action
aurait été rendue beaucoup plus délicate.
Hélas ! devant un
fait plus grave, l’euphorie des parachutistes s’était vite dissipée : depuis
vingt-quatre heures aucun train n’était passé, pas le moindre mouvement ne s’était
déclaré sur la voie, et ceci expliquait peut-être cela.
Michel de Camaret est à
bout de nerfs. Il veut agir. Il est rageur, exaspéré d’observer les Allemands
sans rien faire. Pour la dixième fois, il ressasse à Cochin :
« Enfin, bordel de
merde, butons-les ! Ils ne sont que neufs et ils roupillent à moitié. On n’en
a pas pour une minute. Après, on installe les charges et on attend.
— Tu ne veux pas
arrêter de déconner, Michel ? Ils ont sûrement, plusieurs fois par jour, des
contacts radio et téléphoniques avec leur base. S’ils n’appellent pas ou s’ils
ne répondent pas, on va leur envoyer du renfort pour voir ce qui se passe.
— Et alors ? On
attendra les renforts. Il y a un seul sentier pour parvenir jusqu’ici. La base
ne va pas envoyer une division pour voir si le téléphone est en dérangement.
— Maintenant, arrête,
tu me pompes le cervelet. Je sais aussi bien que toi qu’on peut tuer des
Allemands et qu’on peut même en tuer beaucoup. Mais ça n’est pas pour ça qu’on
nous paie. C’est pour faire dérailler un train dans le tunnel. Et un train, y
en a pas.
— De toute façon, s’il
en arrive un, il ne risque pas de sauter.
— Tu m’emmerdes, Michel.
Ce qu’il faut, c’est se renseigner. Y a forcément quelqu’un qui est au courant
du mouvement.
— Tu veux aller à
la gare demander les horaires ? raille Camaret.
— Et pourquoi pas ?
Tu as mieux à me suggérer ?
— Tu es sérieux, Denys ?
— Je n’ai jamais
été aussi sérieux de ma vie. Dès que le jour tombera nous irons à Messac ;
il y a à peine trois kilomètres ; là nous tâcherons de trouver le chef de
gare.
— En espérant que c’est
un Allemand qui le fait cocu et qu’il va tout nous balancer pour se venger.
— Primo, ça ne peut
être qu’un Allemand qui le fait cocu, tous les Français valides du coin étant
dans le maquis. Secundo, les employés de la S.N.C.F. n’ont pas la réputation d’être
particulièrement collaborateurs.
— Et s’il n’est pas
cocu ? intervient le sergent Détroit.
— Ça ne se serait
jamais vu », répondent presque en chœur les sous-lieutenants qui ont
retrouvé leur optimisme.
Messac, 19 h 30.
Cochin et Camaret ont laissé Détroit, Collobert et Nunès à l’affût dans leur
planque. Les deux officiers se glissent dans l’ombre jusqu’à la gare qu’ils
contournent et dans laquelle ils pénètrent en suivant la voie. À part un bureau
faiblement éclairé par une lampe fatiguée, tout semble désert.
Camaret se plaque contre
le mur à gauche de la porte. Cochin se baisse pour passer et se plaque à droite.
L’un après l’autre ils risquent une brève série de coups d’œil à travers la
porte vitrée.
Devant un bureau
crasseux et désordonné, un homme est assis ; il avale avec délices de
lourdes cuillerées de soupe, n’interrompt son festin que pour casser du pain
dur en petits morceaux dont il épaissit son potage.
Il ne donne pas l’impression
d’être le chef de gare, mais plutôt un vague sous-fifre de faction. En tout cas,
il ne peut représenter le moindre danger. Âgé d’une soixantaine d’années, il a
le cheveu rare et le ventre rond. Sur un signe de Camaret, les deux
parachutistes entrent brusquement dans le bureau et referment la porte sur eux.
« Bon appétit, pépé,
lance Camaret. Te dérange pas pour nous. On ne fait que passer. »
Bien que surpris, l’homme
ne se démonte pas le moins du monde. La bouche pleine, il marmonne, se parlant
à lui-même :
« Qu’est-ce que c’est
encore que ceux-là ?
— C’est juste pour
un renseignement, enchaîne Cochin. On voudrait simplement savoir quand il va
passer un train, soit vers Brest, soit vers Paris. »
Le vieux fait preuve d’un
calme surprenant. Il n’est sûrement pas breton. Il parle lentement, posément ;
son timbre trahit une origine gasconne. Il demande :
« Dites donc, vous
seriez pas des gaullistes, par hasard, tous les deux ? »
Camaret s’impatiente.
« On peut rien te
cacher, grand-père. Mais on n’a pas de temps à perdre pour tailler une
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