Qui ose vaincra
déclare :
« J’ai une
locomotive, une Pacific, une grosse machine, ça peut faire votre affaire.
— Et tu veux la
vendre ?
— En quelque sorte,
si vous voulez. Mais nettement au-dessous de son cours. Je pense que trois ou
quatre mille francs suffiraient.
— Une fois pour
toutes, explique-toi. »
Dans un bon sourire, le
vieux lâche enfin :
« Cette idée-là, mes
enfants, vous êtes pas les premiers à l’avoir. Les petits gars du maquis l’ont
étudiée sous tous ses angles, mais ils sont mal armés, et pour aller dans le tunnel,
il faut commencer par anéantir les Boches qui le gardent. Si vous vous chargez
de cette partie du boulot, nous on peut vous lancer la locomotive dans le
tunnel. Seulement, le chauffeur et le mécano n’ont aucune envie de se suicider.
Il faudra qu’ils sautent après avoir mis toute la vapeur, et après avoir sauté,
faudra qu’ils se taillent vite fait. Et pour ça il leur faudra des vélos, parce
que les Allemands vont pas être longs à se réveiller, et des vélos ils en ont
pas. Et par les temps qui courent, des vélos, ça coûte du pognon.
— En somme, réplique
Camaret, si on te paie deux vélos, on peut envisager de monter l’opération ?
— Ça peut se faire.
— Et tes gars, le
mécano et le chauffeur, tu en es sûr ?
— Vous inquiétez
pas pour ça, et d’abord l’un des deux c’est mon fils.
— Et ta loco, on
peut la voir ?
— Pardi ! je
ne vais pas vous vendre une marchandise sans vous la montrer. Suivez-moi jusqu’au
dépôt, il n’y a qu’à longer la voie sur cinq cents mètres.
— Les Allemands ?
Y a pas de ronde ?
— En ce moment, c’est
calme, et puis si je prends le risque, vous pouvez en. faire autant, vous ne
pensez pas ? »
La locomotive est énorme.
Évidemment, il sera plus aisé de dégager une matrice qu’un convoi, mais couchée
en travers du tunnel, déchiquetée, il est presque certain que la Pacific bloquera la ligne pendant plusieurs jours.
L’extravagante affaire
se traite. Cinq mille francs changent de main. Le vieux se charge de tout, affirme
que la machine haut le pied arrivera dans le tunnel le lendemain à 12 h 30
précises. Elle roulera à forte vitesse, sur la voie de droite, dans le sens Messac-Brest.
Aux parachutistes de régler les détails concernant la neutralisation des
Allemands et le déraillement. Cochin et Camaret rejoignent dans la nuit leurs
compagnons avec lesquels ils mettent sur pied avec minutie le plan d’attaque qu’ils
fixent au lendemain 12 heures.
19
9 juin, 11 h 45.
Les parachutistes s’apprêtent à tenter leur coup de main sur le poste de garde
du tunnel. Depuis une heure, Nunès et Collobert sont descendus dans le ravin. Par
un vaste crochet ils doivent contourner le camp allemand, s’approcher à portée
et attaquer à la grenade, tandis que d’en haut le sergent et les deux
sous-lieutenants ouvriront le feu au fusil mitrailleur.
Aucune mauvaise surprise
ne semble à redouter, et pourtant Camaret est d’une impatience fébrile. Pour la
dixième fois il vérifie son arme.
Il va avoir une grosse
déception.
Les parachutistes
aperçoivent en bas un camion qui arrive, cahotant sur le mauvais sentier. Le
véhicule effectue un délicat demi-tour ; alors les Allemands du camp
grimpent sur le plateau arrière, ils parlent fort, semblent totalement
décontractés, rient joyeusement. Cochin, machinalement, les compte jusqu’à neuf.
Le camion s’éloigne dans
le chemin, l’opération n’a pas duré une minute. Cochin délaisse son fusil
mitrailleur et porte ses jumelles à ses yeux. Il ne découvre que le camp désert,
puis il aperçoit Nunès qui s’avance prudemment.
Il est sans aucun doute
couvert par Collobert qui reste dissimulé.
Nunès erre dans le camp,
constate toute absence de vie, lève les yeux et, par grands gestes, fait signe
que la voie est libre.
Camaret rejoint Cochin.
« Ça, par exemple, tu
y comprends quelque chose ? se lamente-t-il. C’est la vacherie.
— Écoute, Michel, c’est
inespéré, même si ça t’enlève la joie de faire un carton. Si les Boches
rappliquent avant qu’on ait disposé les charges, ce sera un jeu d’enfant pour
Nunès et Collobert de les anéantir au passage à la grenade. Tu n’as qu’à
descendre leur dire de grimper dans les arbres des deux côtés du sentier. Maintenant,
grouillons-nous, et arrête de faire cette gueule de gamin frustré.
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