Qui ose vaincra
»
L’extrémité d’une longue
corde de rappel est fixée au tronc d’un arbre. Avec l’agilité d’un alpiniste, Camaret
dévale par bonds successifs la longue et abrupte déclivité. Ensuite, le sac
contenant vingt-cinq kilos de plastic est descendu à son tour.
À l’aide d’une lampe
électrique, la charge explosive sur le dos, Camaret gagne, sans précipitation, le
point central du tunnel. Dans une série de gestes précis, il dispose ensuite
les explosifs. Son travail achevé, à deux reprises, il vérifie tout, constate
la perfection de son installation et revient sur ses pas. À l’extérieur il
lance entre ses dents un coup de sifflet strident. Nunès et Collobert
descendent de leur arbre ; en courant, ils rejoignent leur chef. Se
succédant à deux mètres, les trois parachutistes entreprennent alors, s’aidant
de la corde, la pénible ascension. Lorsqu’ils parviennent au sommet du ravin, ils
sont en nage ; tous les trois ont le même réflexe : s’affaler sur le
dos et reprendre leur souffle. Il est 12 h 20. Si les cheminots ont
tenu leur parole, la machine haut le pied doit arriver dans dix minutes.
À 12 h 26, le
camion allemand revient. Les occupants en descendent, puis s’affairent au
transbordement de caisses de vivres. Ils étaient visiblement allés au
ravitaillement, la coïncidence est phénoménale.
12 h 29. C’est
Camaret qui maintenant s’est emparé des jumelles. Anxieusement il scrute la
voie du plus loin qu’il le peut.
Quarante-cinq secondes
avant 12 h 30, la machine apparaît. Camaret évalue sa vitesse à une
soixantaine de kilomètres à l’heure. Il chuchote :
« Je l’embrasserais,
ce vieux, s’il était là ! »
Lorsque la locomotive
pénètre dans le tunnel, les cinq parachutistes se bouchent les oreilles ; ils
s’allongent sur le ventre, la tête contre le sol, dans l’attente nerveuse et
crispée de la déflagration.
C’est Cochin qui, le
premier, enlève ses mains de ses oreilles et lève la tête, intrigué. Il
aperçoit la locomotive qui sort du tunnel et poursuit sa route à sa cadence
régulière et tranquille. Cochin secoue son compagnon par l’épaule. À son tour
Camaret se relève et constate la catastrophe. Les trois autres paras sont
maintenant assis eux aussi, béats, contemplant la locomotive qui disparaît dans
un coude en direction de l’ouest.
« Nom de Dieu de
nom de Dieu ! geint Cochin. Mais comment as-tu pu faire ton compte, abruti ?
Ça fait deux ans qu’on t’apprend à installer une charge sur un rail ! C’est
pas possible d’être aussi con !
— Comme tu dis, réplique
violemment Camaret, c’est pas possible d’être aussi con ! Tu as vu où elle
est passée ta locomotive ? Sur la voie de gauche ! Voilà ce qu’on
gagne à faire confiance aux bricoleurs de la Résistance !
— Et maintenant c’est
râpé, les Boches vont découvrir le sabotage à leur prochaine patrouille, sans
compter la loco qui va aller se vomir je ne sais où.
— C’est la sale
poisse. On aura pourtant fait ce qu’on aura pu. C’est écœurant, mais c’est
comme ça, une putain de « schcoumoune » vicieuse !
— Vos gueules !
interrompt le sergent Détroit. Écoutez.
— Écouter quoi ?
Tu entends des voix ?
— J’ai entendu un
sifflet, un sifflet de locomotive.
— Arrête de
déconner. Il n’y a plus personne sur la machine, elle risque pas de siffler
toute seule.
— Mais fermez-la, nom
de Dieu ! Écoutez. Ça remet ça.
— Je crois qu’il a
raison. Moi aussi il m’a semblé entendre quelque chose, ajoute Nunès.
— Et matez les
Chleus en bas, ça s’agite bougrement », lance Collobert.
Effectivement les neuf
Allemands sortent de leurs baraquements l’arme au poing. Ils s’échelonnent le
long de la voie, et maintenant, tous, parachutistes et Allemands, perçoivent un
long sifflement lugubre.
« Le train de D.C.A. !
C’est pas possible ! Ce serait trop beau ! crie presque Camaret, en
proie à une fabuleuse excitation.
— Ta gueule, Michel,
ta gueule ! Je crois bien que c’est lui ! C’est pharamineux, mais je
crois qu’il arrive ! Écoute… »
Les vibrations
provoquées par l’approche d’un lourd convoi sont maintenant perceptibles.
« Pourvu qu’il soit
pas lui aussi sur la voie qu’on n’a pas piégée, déclare Nunès sans réfléchir.
— Il aurait percuté
la Pacific, crétin ! » réplique Détroit.
À petite vitesse la
motrice
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