Qui ose vaincra
bavette
avec toi. On t’a posé une question. Tout ce qu’on te demande c’est d’y répondre.
Pour le reste, on t’expliquera plus tard.
— C’est ça, c’est
bien des gaullistes, ânonne le vieux. V’là les emmerdements qui commencent. Y-a-qu'à
moi que ça arrive, ces trucs-là. Tout allait trop bien, il fallait qu’y s’ramènent.
— Pas de collabos
dans la S.N.C.F., hein ? râle Camaret en s’adressant à Cochin, tu me la
copieras.
— Holà ! holà !
doucement, petit, réplique le vieux. J’ai jamais dit ça. Les Boches je ne les
encaisse pas plus que toi. Mais je suis à deux mois de la retraite et j’ai plus
l’âge de vos conneries. En 14, ça m’amusait encore ; maintenant pour moi c’est
la pêche à la ligne, là-bas chez moi, du côté de Bergerac. »
Cochin et Camaret ne
peuvent s’empêcher de sourire.
« Écoute, explique
Cochin doucement, dis-nous simplement si tu es au courant des mouvements sur
les rails.
— Vous voulez faire
péter un train sous le tunnel de la Corbinière ? » interroge le vieux.
Les deux parachutistes
échangent un regard surpris.
« Oh ! je suis
pas extralucide, poursuit le vieux, mais c’est tellement évident ! Ça fait
près d’un an que je me demande ce qu’attendent les petits rigolos de la
Résistance.
— Écoute, interrompt
Camaret, tout ça c’est bien joli, mais ça ne répond pas à notre question.
— Hélas ! mes
pauvres gars, y passe plus rien de régulier, et ça fait une bonne quinzaine qu’on
n’a rien vu. Et puis, tout d’un coup, sans crier gare, ça n’arrête pas, les
convois se succèdent pendant des heures.
— Et ils ne vous
signalent rien à l’avance ?
— Eux, rien du tout !
Mais par la Résistance il nous arrive de vagues renseignements. Je sais par
exemple qu’un important convoi de D.C.A. va quitter Brest en direction de
Rennes. Mais quand ? Aujourd’hui ? Demain ? La semaine prochaine ? »
Cochin hoche la tête, songeur.
« On pourrait
installer une grosse charge sur la voie, une charge qui péterait par contact.
— Non, les gars. Les
Boches vérifient le tunnel deux fois par jour, et croyez-moi, ce sont des
spécialistes.
— Et si on faisait
péter le tunnel ?
— C’est du solide. Vous
n’arriverez qu’à l’endommager. S’il le fallait ils enverraient deux mille
hommes. En moins de vingt-quatre heures, ils le dégageraient.
— Enfin, bon Dieu, il
y a sûrement une solution », peste Camaret.
Le vieux jette un regard
à sa gamelle et reprend son repas après avoir déclaré :
« Avec vos
histoires ma soupe va refroidir. »
Il engloutit le reste du
potage, gratte soigneusement la gamelle pour rassembler les miettes de pain
agglutinées au fond ; après la dernière cuillerée, il l’essuie à l’aide d’une
serviette douteuse et va ranger ses ustensiles dans un placard.
Au portemanteau, il
prend sa veste qu’il enfile. Cochin et Camaret remarquent les rubans : la
médaille militaire et la croix de guerre 14-18.
Le vieux se rassoit. De
la poche de sa veste, il extrait un paquet de tabac gris presque vide, un petit
étui de feuilles à rouler ; il se lance alors habilement dans la
confection d’une cigarette à peine plus épaisse qu’une aiguille à tricoter. Il
craque une allumette et attend, contemplatif, que le soufre se consume. Il tire
une longue bouffée, puis fixant les parachutistes, annonce :
« Y a peut-être un
moyen. »
Les sous-lieutenants le
dévisagent, attentifs. Conscient de l’intérêt qu’il suscite, le vieux poursuit :
« Seulement, voilà.
Vous avez du pognon tous les deux ?
— Non, mais tu n’as
pas honte, vieux salopard, jette Camaret indigné.
— Vous avez du
pognon ou vous n’en avez pas ?
— On a de l’argent
de la Libération, des billets frappés en Angleterre qui auront cours dans les
territoires libérés.
— V’là autre chose,
lance le vieux cheminot sceptique. Fais voir un peu ça. »
Cochin sort de sa poche
un billet de cent francs, de la forme et de la couleur d’un dollar. Le vieux s’en
saisit, le palpe entre ses doigts rugueux, l’examine en transparence, et le
rend aux parachutistes en disant :
« Après tout, ça
ira peut-être. »
Camaret frappe la table
du plat de la main.
« Maintenant, ça
suffit, accouche ton idée et ton prix. »
Cochin se montre plus
réservé. Il est visiblement intrigué par l’attitude du vieux qui, toujours sans
se démonter,
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