Qui ose vaincra
apparaît dans le coude de la voie. Elle tracte un interminable chapelet
de wagons, de simples plateaux sur roues sur lesquels sont amarrés des tanks, des
automitrailleuses, des canons lourds.
Les parachutistes ne
pensent plus ni à s’abriter le visage ni à se boucher les oreilles. Médusés et
admiratifs, ils contemplent le spectacle.
La motrice pénètre dans
le tunnel. Sa vitesse est de vingt-cinq, au maximum trente kilomètres à l’heure.
Au passage, les mécanos en uniforme ont fait un signe de main amical aux
sentinelles qui gardent la voie.
Quatorze wagons sont
engagés sous le tunnel lorsque l’explosion se produit. Un instant les
parachutistes pensent que tout va s’effondrer. La violence de la déflagration
est telle qu’elle a provoqué un véritable séisme.
Mus par la réaction en
chaîne, deux wagons qui se trouvent encore à l’extérieur du tunnel basculent
lourdement. Un char Tigre rompt ses amarres et, dans une pesante rotation, vient
broyer trois des gardiens qui étaient demeurés sur place, abasourdis.
« Et tu disais qu’on
avait la poisse ! » chuchote Denys Cochin.
Le sergent est secoué
par une crise nerveuse de fou rire. Il a enfoui son visage dans ses mains pour
étouffer les hoquets dont il est agité. Il en pleure. Ses paumes sont maculées
de terre noirâtre ; les larmes plaquent sur ses joues une purée sombre.
Lorsque ses compagnons
découvrent son visage de clown, à leur tour ils sont nerveusement atteints d’un
rire communicatif. Cochin plonge la tête dans sa manche, Camaret a défait son
foulard de « soie parachute » et s’en sert pour assourdir ses pouffements.
C’est par signes que
Cochin intime l’ordre de lever le camp. Les parachutistes s’élancent en courant
à travers bois. Mais Camaret qui ne peut réfréner son rire s’arrête le dos
contre un arbre pour retrouver sa respiration.
« Ça va comme ça !
Il faut y aller, maintenant ! lui jette Cochin qui a retrouvé son sérieux.
— Tu sais à quoi je
pense, Denys ? Quand je raconterai ça à mes petits-enfants, ils ne
voudront jamais me croire.
— Si tu ne viens
pas tout de suite, tu ne risqueras jamais de raconter quoi que ce soit à qui
que ce soit. »
Camaret se calme, il
reprend sa course avec les autres. Vers d’autres sabotages. Vers d’autres
combats.
QUATRIÈME PARTIE
SAINT-MARCEL
20
Dans les heures qui
avaient suivi la jonction des sticks Marienne et Déplanté, un optimisme compréhensible,
mais superflu avait plané sur le groupe.
Eugène Maurizur avait
conduit les parachutistes à la ferme de Pelhue. Son enthousiasme, son talent de
conteur, l’ambiance chaude et paisible de la ferme avaient contribué à gonfler
le moral des officiers S.A.S… À leur départ d’Angleterre on leur avait précisé
qu’ils n’avaient en rien à compter sur la Résistance. Or, Maurizur était en
train de leur faire une démonstration éclatante qui mettait en évidence le
mal-fondé de ces affirmations.
« Plus de deux
mille hommes armés et organisés obéissent aux instructions de leur chef, le
colonel Morice, affirmait le jeune résistant. Nous pouvons en assembler et en
armer le triple. Depuis l’annonce du débarquement, ils convergent tous vers un
point précis : le colonel Morice a établi son P.C. dans une ferme, la
Nouette, à proximité du bourg de Saint-Marcel. Ce sera le plus grand
rassemblement des Forces françaises de l’Intérieur depuis leur création. Si
vous nous encadrez, c’est une armée que vous pouvez lever. »
Marienne n’en croit pas
ses oreilles : la sincérité, la confiance de Maurizur sont communicatives.
Déplanté est plus réservé, il entrevoit le danger d’un grand rassemblement, mais
craint de jouer les défaitistes. Pourtant il remarque :
« C’est contraire à
nos instructions. Nous devons saboter par petits groupes, bloquer les voies de
communications, éviter au maximum de nous faire repérer. »
Marienne éclate :
« L’état-major
vient de faire la preuve de sa carence en matière de renseignements. Les ordres
que nous avons reçus nous ont été transmis en fonction de données qui se
révèlent erronées. Il faut prévenir Londres, les amener à réviser leur plan.
— Que savons-nous
de l’efficacité de ces combattants ? Je ne mets en doute ni leur
patriotisme ni leur courage, mais tu sais aussi bien que moi que ça ne suffit
pas.
— Nous sommes là
pour les seconder,
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