Qui ose vaincra
lorsqu’il apprend ce que l’on attend de lui. Le réveil brutal l’avait
rendu furieux. Il doit écarter le groupe compact des curieux pour parvenir
jusqu’aux prisonniers. Brutalement, jouant de sa supériorité de bilingue, il
interroge les Allemands. Questions et réponses fusent. On sent le dialogue
tranchant. Autour d’eux le cercle se presse ; les hommes cherchent à
comprendre le sens des propos échangés en lisant sur les visages. Après une
longue conversation, Krysik se retourne vers le Manchot et déclare :
« Ce sont des
parachutistes.
— Merci du
renseignement, raille Bourgoin. Où se trouve leur unité ? Quel est leur
effectif ?
— Mon commandant !
souffle Krysik, indigné.
— C’est bon, abdique
Bourgoin, chargez-vous d’eux. »
Furieux, un résistant s’interpose.
« Laissez-les-nous,
mon commandant. On saura bien les faire parler, nous aussi on a un interprète.
— Notre combat n’aurait
plus de sens, tranche Bourgoin. Allez, dispersez-vous ! »
Krysik passe la matinée
en compagnie des prisonniers. Avant midi un bruit se répand. Ils ont parlé, le
parachutiste alsacien est parvenu à leur tirer les vers du nez. La rumeur
parvient à la ferme. Bourgoin convoque Krysik.
« Tout le monde
raconte que vous avez fait parler les prisonniers. Si c’est exact, j’attends
votre rapport. »
Krysik se tient au
garde-à-vous, mal à l’aise.
« C’est inexact, mon
commandant.
— Tout le monde
ment, alors. On vous a vu prendre des notes avec soin. Expliquez-vous et pas de
faux-fuyants.
— Ça n’a aucun
rapport avec les questions militaires, mon commandant.
— Vous ne pensez
pas que c’est à moi d’en décider ? Remettez-moi ces notes. »
Visiblement au supplice,
Krysik sort d’une poche de sa chemise un papier plié ; il tente d’expliquer,
bafouille :
« Ce sont des
adresses, mon commandant.
— Des adresses ?
— Un bordel à
Vannes et puis aussi des filles faciles, des filles qu’on paie. J’ai pensé qu’après
qu’on aura quitté Saint-Marcel… »
Trois officiers ont
assisté à la scène. À leur tour ils relèvent la tête et notent les adresses.
24
En toute autre circonstance,
le lieutenant Wilhem Gebhardt aurait été réformé à cent pour cent. Il y a plus
d’un an que le lieutenant aviateur a été amputé des deux jambes. Il marche
grâce à des prothèses d’alliage métallique, s’aidant de deux cannes. Au début
de l’année 1943, son Stuka a été abattu sur le front de l’Est, Gebhardt
a pu sauter en parachute – il n’était que superficiellement blessé à l’épaule –,
mais il a dû attendre dix heures dans la neige l’arrivée des secours qui le
trouvèrent sans connaissance, les deux pieds et les deux jambes gelés.
La Luftwaffe considérait
le tout jeune officier (il avait à peine dix-huit ans lors de ses premières
victoires) comme un authentique héros – il était l’un des plus jeunes
combattants à avoir reçu la Croix de fer.
Gebhardt avait refusé la
réforme. On avait fini par l’affecter à un groupe de reconnaissance, et depuis
six mois il était cantonné à l’aérodrome de Rennes.
À l’aube ensoleillée du
16 juin, le lieutenant Wilhelm Gebhardt vient de se voir confier une mission. Il
gagne son Fieseler Storch de sa démarche mécanique de robot ; il
est gêné par la mollesse du terrain. Ses cannes s’enfoncent dans la terre imprégnée
de la pluie des derniers jours. À plusieurs reprises, il refuse l’aide des deux
soldats qui l’accompagnent ; il ne fait appel à eux qu’en cas d’extrême
nécessité, notamment pour le hisser dans l’appareil. Les trois hommes ont l’habitude
de l’opération qui est synchronisée comme un ballet. Les deux soldats forment
de leurs mains une chaise à porteur et soulèvent l’officier qui lâche ses
cannes et attrape un hauban sur lequel il fait une traction, ce qui lui permet
de s’asseoir en bordure de la porte. Gebhardt pose alors ses pieds artificiels
sur l’épaule de chaque homme et se redresse d’un coup de reins jusqu’à pouvoir
se saisir d’une forte poignée fixée spécialement au plafond du poste de
pilotage. D’un effort supplémentaire fourni de son seul bras droit, il se hisse
alors sur le siège et ramène ses jambes mortes qu’il dispose sur la barre de
terminaison des commandes.
Contact. Le petit moteur
pétarade dans un fracas de motocyclette. La frêle carcasse
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