Qui ose vaincra
excuse son compagnon. « Faites
pas attention à lui, mon lieutenant, c’est le minus de la compagnie. Maintenant
on prend n’importe quoi pour faire la guerre. » Gebhardt sourit amèrement :
« Hé oui, mon vieux, n’importe quoi ! » La face du motocycliste
vire au rouge sang-de-bœuf, il bafouille :
« Pardonnez-moi, mon
lieutenant, c’est vraiment pas ce que je voulais dire. »
L’amertume disparaît du
sourire de Gebhardt. « Ça va, mon vieux. Allez, aidez-moi tous les deux, il
faut que je téléphone. »
Les deux soldats
soulèvent l’officier qui a passé les bras sur leurs épaules. Ils le déposent
précautionneusement dans le side-car, puis le motard explique :
« Mon lieutenant, le
sergent qui commande notre section a téléphoné à la Kommandantur de Serent dès
que nous vous avons vu nous survoler avec difficulté. Avant notre départ Serent
a rappelé, il avait contacté Pontivy. Nos ordres sont de vous transporter
immédiatement à Pontivy dans la mesure où votre état le permet. C’est à vous de
décider.
— En route ! Je
ne me suis jamais mieux porté de ma vie. »
À Pontivy, devant la
porte du P.C., le sous-officier de service annonce que le général Fahrmbacher a
donné l’ordre d’introduire l’officier aviateur à l’instant même de son arrivée.
Gebhardt est installé sur une chaise ; deux soldats le portent, montent l’escalier,
enfilent un long couloir.
Gebhardt est gêné de se
présenter dans cet humiliant appareil. Lorsqu’ils pénètrent dans la pièce, le
général qui attend, droit derrière son bureau, se montre surpris.
« J’avais dit :
« Si votre état le permettait », lieutenant. Vous êtes blessé ?
— Lieutenant
Wilhelm Gebhardt, 11èmegroupe de reconnaissance. A vos ordres, mon général. Non,
je n’ai pas une égratignure. C’est une vieille blessure. C’est la seconde fois
que je perds mes jambes. Aujourd’hui, c’est sans gravité.
— Vous avez perdu
vos prothèses ?
— Exactement, mon
général, broyées toutes les deux. Le dieu des infirmes me protège !
— En effet. Je vous
présente le capitaine Herre des services de renseignements de l’Abwehr. »
L’homme à tête de
moineau se lève comme un ressort, tend le bras et tonne :
« Heil Hitler ! »
Gebhardt répond par un
vague mouvement du bras.
« Gebhardt, poursuit
le général, j’ai demandé qu’on vous amène à moi rapidement pour entendre votre
rapport de vive voix. D’après Herre, une forte concentration de parachutistes
alliés encadrerait un très large effectif de terroristes dans ce camp de
Saint-Marcel.
— J’ai effectivement
décelé une forte concentration. Peut-être plusieurs milliers d’hommes. Estimer
le pourcentage de soldats de métier est impossible, mais je jurerais que le
servant du F. M. qui m’a abattu n’en est pas à son coup d’essai. J’ai fait
preuve d’une témérité stupide, justement parce que je pensais avoir affaire à
un amateur.
— Évidemment, interrompt
Herre, mais quand vous déciderez-vous à me croire ! Mes renseignements
sont en béton, ça fait près de dix jours que des parachutistes sont largués sur
Saint-Marcel.
— Je le sais mieux
que personne, répond Fahrmbacher, pensif. Le 6 juin nous avons fait trois
prisonniers, trois parachutistes français. »
Herre se détend, en
proie à une stupeur brutale :
« Quoi ? Et c’est
aujourd’hui que vous me l’avouez ! Où les avez-vous cachés ? J’exige
que ces prisonniers me soient confiés immédiatement aux fins d’interrogatoire.
— Vous exigez, Herre ?
Mais à qui croyez-vous vous adresser ? Nous avons tué l’un des leurs au
cours d’un combat qui a précédé leur arrestation. Il a été enterré par nos
soins, les honneurs militaires lui ont été rendus. Les autres ont été dirigés
vers un camp de prisonniers de guerre. Ce sont des soldats en uniforme, appartenant
à une unité régulière. Ils ont donné leurs noms, celui de leur unité et leurs
numéros matricule. Mon devoir m’interdisait de leur en demander davantage.
— Votre devoir est
de gagner cette guerre, d’user de tous les moyens pour repousser l’envahisseur !
Des Allemands, vos frères, nos frères vont tomber à cause de la conception que
vous vous faites de votre devoir.
— Je ne pense être
votre frère en rien, Herre. Je suis un soldat, vous n’en serez jamais un. »
L’officier de l’Abwehr
sort en claquant
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