Qui ose vaincra
fantaisiste des terroristes s’y est
installé. C’est logique, et dans l’armée allemande on fait la guerre avec
logique. Il décide de descendre frôler les tourelles du château. À l’approche, il
aperçoit l’homme et le F. M. installés sur le toit. Il a le temps de s’étonner
en constatant que l’homme ne tire pas. Il sait bien qu’à cette distance et sous
cet angle ce serait dramatique pour lui, mais il y a quelques minutes, lors de
son survol du camp, les résistants avaient tous tiré sans aucune chance de l’atteindre.
« Son arme a dû s’enrayer, il doit tout juste savoir y introduire le
chargeur », pense-t-il. Il décide de passer plus près. Sur le toit, l’homme
tire une seule rafale, nette, précise, exactement à l’instant où elle devait
toucher avec un maximum d’efficacité.
Gebhardt constate la
déchirure sur l’aile gauche. Il emballe le moteur une nouvelle fois, il tire le
manche, il éprouve de la difficulté à grimper, mais il grimpe tout en s’éloignant
du danger.
L’aviateur est
maintenant inquiet. C’est un professionnel qui lui a tiré dessus, un vrai
soldat ; il a fait preuve d’adresse, mais surtout de sang-froid et d’intelligence
– autant de choses qu’on n’apprend pas en quelques semaines.
Machinalement, Gebhardt
jette un coup d’œil général au tableau de bord. La pression d’huile baisse
dangereusement ; presque aussitôt un mince filet sombre et visqueux
apparaît sur la vitre gauche : une balle a sans aucun doute atteint le
carter d’huile. Il ne réduit pas les gaz, et pourtant il prend de l’altitude de
plus en plus difficilement. L’appareil atteint trois cent cinquante mètres et
refuse d’aller plus haut. Le moteur geint, une épaisse fumée grisâtre s’échappe
du capot ; très vite ce sont les ratés, les hoquets fracassants, les coups
de tonnerre des gaz accumulés et, brusquement, le silence, le sifflement
régulier du vent qui frise les haubans. L’oiseau agonisant plane gracieusement,
maintenu par les commandes qui semblent intactes.
Gebhardt pourrait se
poser n’importe où sans difficulté, mais il voudrait d’abord être aperçu des
siens. Il prolonge le vol au plus long, parvient à survoler Saint-Guyomard et
va se poser dans un champ. Trop court. Il ne peut éviter un gros tas de pierres
sur lequel s’écrase le nez du Fieseler Storch. Le moteur est décalé par
la violence du choc. Un amas de fer déchire l’avant du poste de commandes, broie
et paralyse les jambes artificielles de l’officier. Sans explosion, le moteur
prend feu. Gebhardt dégaine le poignard qui ne le quitte jamais, lacère les
jambes de son pantalon et détache le plus vivement qu’il peut les courroies qui
fixent ses jambes d’acier. L’air n’est plus qu’une épaisse fumée pestilentielle
dégagée par l’huile rance qui se consume. Gebhardt est sur le point de
suffoquer lorsqu’il se jette en avant, roule sur le sol, la tête la première, et
effectue un roulé boulé de parachutiste. Il s’éloigne, s’aidant des bras, des
mains et des moignons – insolite mollusque céphalopode, émouvant et grotesque.
Il parcourt ainsi une
cinquantaine de mètres avant de se retourner sur le dos, de s’asseoir, les bras
en support, et de contempler dans une douloureuse mélancolie son appareil qui
brûle, qui ne sera bientôt plus qu’un squelette calciné. Ses yeux se portent
sur les lambeaux de son pantalon, sur ses moignons maculés de terre fraîche et,
brusquement, il éclate d’un rire névrosé, presque hystérique.
Il n’attend pas plus de
dix minutes : un side-car de la Wehrmacht parti de Saint-Guyomard le
repère sans peine, s’avance vers lui à travers champ.
« Vous êtes blessé,
mon lieutenant ? lance le conducteur en sautant de sa machine.
— Mes deux jambes
broyées, mon vieux ! Elles sont restées dans l’appareil, je les ai coupées…,
crac ! »
Il dégaine son poignard
et fait le geste. Le motocycliste, un instant médusé, s’approche, soulève un
lambeau de tissu, constate l’absence des jambes et comprend.
Derrière lui, le second
occupant du side-car, plus naïf, dévisage l’officier et marmonne : « Ben
ça, alors… !
— Eh oui, qu’est-ce
que tu crois, mon gars ! poursuit Gebhardt, amusé. On a des couilles en
bronze dans l’aviation ! »
Le soldat, hébété, reprend :
« Ben ça alors, quand
même, ça, par exemple… » Le chauffeur
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