Qui ose vaincra
longtemps vous
aviez son âge, lieutenant. Mettez-vous à ma place, comment auriez-vous agi ? »
Marienne réalise qu’il n’y
avait pas pensé ; évidemment la réponse ne fait pas l’ombre d’un doute.
« Vous avez raison,
madame, mais mon devoir m’oblige à vous avouer que la situation des troupes
placées sous notre responsabilité n’est pas exempte de surprise. Malgré la
quiétude apparente de ces jours derniers, l’éventualité d’un assaut allemand
contre notre rassemblement n’est pas exclue. Le danger est constant.
— Je ne l’ignore
pas. J’en suis consciente, lieutenant, mais sincèrement si l’attaque à laquelle
vous faites allusion devait se produire, pouvez-vous me jurer que mes fils
seraient plus en sécurité ici ou ailleurs ? Dois-je rappeler que ma
demeure est transformée en place forte ? Vos hommes y ont installé des
postes de combat jusque sur le toit. Guy-Michel serait, je pense, plus en
sécurité à vos côtés. Il pourrait vous rendre des services. »
Marienne est obligé d’admettre
l’évidence de ces propos.
« Je vais en parler
au commandant, madame. Éventuellement, j’enverrai quelqu’un le chercher. Mes hommages,
madame.
— Merci, à bientôt,
j’espère. »
Marienne est sur le
point de passer la porte, M me Bouvard le rappelle :
« Un mot encore, lieutenant.
— Madame ?
— Mes trois autres
fils traînent aussi parmi vous. Si vous pouviez les protéger le cas échéant…
— Vos trois autres
fils ? balbutie Marienne, stupéfait.
— Oui, Loïc, l’aîné,
a quinze ans. Mais c’est le plus petit, Philippe, qui m’inquiète. Il n’a que
onze ans.
— Et vous dites qu’ils
sont dans le camp au milieu des soldats ?
— Depuis deux jours,
ils ne font que de brèves apparitions au château. Ne me blâmez pas, je voudrais
vous voir à ma place ! »
Dans l’après-midi, Marienne
retrouve sans peine Loïc et Philippe. Les deux gamins servent d’agents de
liaison. Depuis quarante-huit heures, ils courent comme des lièvres, rendant
des services aux uns et aux autres. Les parachutistes comme les résistants les
ont adoptés. Guy-Michel n’est resté qu’un quart d’heure au château, le temps d’ingurgiter
une tasse de chocolat, puis il s’est éclipsé comme un zèbre, a rejoint son
poste aux points de garde avancés. Loïc, l’aîné, est même parvenu à se faire
remettre une carabine américaine, il a fait la démonstration de ses qualités de
tireur. Inquiet, le capitaine Puech-Samson a trouvé un compromis.
« Tu me serviras d’ordonnance,
a-t-il déclaré au jeune garçon. À partir de maintenant tu ne me quittes pas. Mission :
me protéger. »
16 juin, 6 heures du
matin. Une centaine de nouveaux résistants viennent grossir les rangs des
retranchés de Saint-Marcel. En soi, l’énervement est devenu banal. Chaque jour
de nouveaux groupes arrivent, se joignent à la concentration, mais ceux du 16
juin font pénétrer à Saint-Marcel un élément nouveau : des prisonniers. En
lisière du bois de Saint-Billy, les F.F.I. ont attaqué un convoi léger. Ils ont
fait une hécatombe dans les rangs allemands jusqu’à ce qu’une vingtaine de
survivants, cloués par le tir efficace des résistants, aient constaté qu’ils n’avaient
plus d’autre issue que celle de servir de cible. Ils avaient jeté leurs armes
et levé les bras.
Dans l’aube humide, encadrés
par leurs vainqueurs, les prisonniers, mains croisées derrière la nuque, traversent
le camp en direction de la ferme. Le bruit court comme la foudre ; les
résistants arrivent en courant pour contempler, muets, les premiers Allemands
qui courbent l’échine, pour graver à jamais dans leur esprit la première image
concrète de la victoire.
Bourgoin et Marienne
arrivent à leur tour.
Les deux Allemands sont
pâles comme des spectres. L’agitation et la curiosité qu’ils suscitent les
inquiètent. La présence d’officiers les rassure un peu. C’est Marienne qui, le
premier, s’intéresse à leurs galons, à leurs insignes.
Ce sont deux
sous-officiers, des parachutistes de la division Kreta ; leurs poitrines
sont bardées de rubans cousus à même l’étoffe de leurs vareuses.
« Vous parlez le
français ? » questionne Marienne.
Les prisonniers hochent
la tête.
« Anglais ? »
Ils font un signe de
tête négatif.
« Allez me chercher
Krysik. »
Krysik, l’Alsacien, retrouve
sa bonne humeur
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