Qui ose vaincra
la
ferme du Bois-Joly ; à quelques centaines de mètres de la ferme, l’imposant
château de Sainte-Geneviève, occupé par la châtelaine M me Bouvard,
sa nièce et ses six enfants. Au sud-ouest, un manoir de trente-cinq pièces, le
château des Hardys-Behelec.
En cette matinée du 12
juin, un sergent du stick de Kerillis demande à être reçu. On l’introduit.
« Mon commandant, déclare-t-il,
on a trouvé un gosse qui a passé la nuit avec les postes avancés. J’ai pensé
que ce n’était pas sa place, je me suis permis de vous l’amener.
— C’est bon, tonne
le Manchot, tu as bien fait. Il ne manquait plus que ça ! Maintenant nous
allons jouer les nourrices. Fais-le entrer. »
Le gamin se présente. Il
doit avoir une douzaine d’années. Malgré ses vêtements grossiers, son aisance
saute aux yeux. La délicatesse de ses traits, le respect dont il fait preuve à
l’égard de ses interlocuteurs, sa facilité d’élocution témoignent de son
éducation et de son niveau social.
« Alors, grogne
Bourgoin. Qui es-tu ? Et que fous-tu ici ? Tu crois que c’est de ton
âge de courir la nuit au milieu des soldats ?
— Je m’appelle
Guy-Michel Bouvard, je suis le fils de M me Bouvard du château
de Sainte-Geneviève. Je cherche à me rendre utile, à vous aider, mon commandant. »
« En plus, il
connaît les grades, pense le Manchot. Il radoucit son ton : « Écoute,
Guy-Michel, ce qui se passe ici n’est pas un jeu, c’est une affaire d’hommes. La
meilleure façon que tu as de nous être utile est de rejoindre ta mère qui doit
être morte d’inquiétude.
— Mon commandant, réplique
le gamin, nullement impressionné, je connais les bois, les chemins, les champs
mieux que n’importe lequel de vos hommes et je cours plus vite. Je suis sûr de pouvoir
vous être utile. Je vous en prie, croyez-moi.
— Quel âge as-tu ?
— Treize ans.
— Marienne, allez
le raccompagner au château. »
Marienne sourit ; chez
lui c’est rarissime.
« Allez, mon
bonhomme, dit-il en poussant l’enfant par le cou. En voiture. On rentre au camp
de base. »
Guy-Michel devient
boudeur. Ses propos abandonnent la syntaxe.
« Oh ! là !
là, braille-t-il. En plus, je vais me faire engueuler ! Vous êtes pas
chics, sans compter que vous allez le regretter !
— Ça, c’est sûr, on
va être obligés de faire la guerre sans toi, ça va pas être du sirop », plaisante
Marienne.
L’homme et l’enfant
traversent le grand champ de blé qui s’étend entre la Nouette et le parc du
château. Malgré les larges enjambées du lieutenant, Guy-Michel suit aisément ;
il continue à maugréer :
« L’histoire de
France est pleine de gars de mon âge qui ont fait la guerre ! Je parie que
je tire aussi bien que vous. Vous voulez qu’on essaie ?
— On essaie rien. On
rentre, un point c’est tout.
— Je m’en fous, je
reviendrai. D’abord au château je m’emmerde. »
Marienne s’arrête :
« Écoute, sale môme,
maintenant ça suffit ou je demande à ta mère de t’enfermer. C’est compris ?
— Ça sera pas la
première fois, ça sera pas non plus la dernière que je descendrai par la
gouttière !
— C’est drôle. À
première vue je te prenais pour un garçon bien élevé.
— Oh ! ça va. Je
veux être soldat, c’est pas un crime.
— Soldat, tu t’es
pas regardé ! C’est tout juste si on te prendrait aux louveteaux, il
faudrait que je désigne quelqu’un pour changer tes langes.
— Le premier arrivé ! »
crie brusquement le gamin qui s’élance, détalant comme un lièvre.
Marienne sourit, court
derrière lui, mais le gosse est plus léger et plus agile sur le terrain lourd. Le
lieutenant ne le rejoint que dans l’allée du parc ; il est haletant. Guy-Michel
est aussi frais qu’avant la course, il rit joyeusement.
« Si vous êtes
fatigué on peut faire une halte, mon lieutenant. Je le dirai à personne, c’est
normal, les vieux ça s’essouffle vite. »
Marienne réprime son
envie de rire, il se dirige vers le château sans commentaire.
M me Bouvard
le reçoit dans la bibliothèque. La pièce est immense, austère. La châtelaine
semble faire partie du cadre, elle se tient droite, la douceur mélodieuse de sa
voix tranche avec la sévérité de son personnage.
« Je vous remercie,
lieutenant, je n’étais pas vraiment inquiète, je savais bien où il était. Et
que puis-je y faire ? L’attacher ? Il n’y a pas si
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