Qui ose vaincra
Auguste, le jeune,
qui répond :
« Le Bourgoin on
sait point où il se trouve, mais Marienne vous le dira bien… Et Marienne, pour
sûr vous pouvez le trouver, vu que depuis hier c’est moi qui le ravitaille…
— Eh bien, vrai, s’exclame
Zeller, on peut dire qu’on est tombés dans le mille, le dieu des parachutistes
est avec nous. »
Munoz sort de la poche
plaquée de son pantalon une carte d’état-major imprimée sur soie. Il n’a oublié
aucun des astucieux accessoires pillés sur le cadavre du lieutenant Gray.
« La ferme de
Keruhel, chez les Gicquello, explique Auguste, en désignant le point sur la
carte. Mais méfiez-vous, à trois cents mètres, là, au croisement des sentiers, il
y a le poste de garde, et les bonshommes ont la gâchette tendre.
— T’en fais pas, c’est
pas à nous qu’ils en veulent.
— Ça, on s’en
douterait », fait finement remarquer Léon en riant.
Les deux traîtres
quittent le café après d’ultimes tapes dans le dos et regagnent dans la
traction Herre et Gross qui sont mis au courant en quelques mots.
« Vous auriez dû
vous renseigner sur l’effectif dont ils disposent, fait remarquer Herre.
— Il ne faut jamais
abuser de la crédulité des cons, tranche Zeller. Un détail insignifiant aurait
pu leur faire dresser l’oreille.
— Dans ce cas, ordonne
Herre, nous allons faire la connaissance du Feldwebel Kôln. Il est arrivé à
Josselin le 6 juillet à la tête d’un détachement de votre milice. Nous
attaquerons ensemble la ferme de Keruhel à l’aube. »
30
S’étant vu confier la
responsabilité d’une soixantaine de voyous français appartenant à la « Milice
Perrot », le Feldwebel Kôln, sous-officier de la Gestapo aux pouvoirs
extraordinaires, fut sans doute l’un des plus révoltants sadiques que connurent
les services spéciaux nazis.
À Josselin, il est
secondé par un Français, Di Constanzo. Le Sonderkommando est itinérant ;
la poignée de « Francs-Gardes » qui le composent demeure rarement
plus de deux semaines dans l’une ou l’autre des villes du Morbihan.
Le quatuor de l’Abwehr
arrive au cantonnement provisoire des miliciens vers 23 heures. Kôln les reçoit
instantanément. En raison de la présence de Di Constanzo et de deux « Francs-Gardes »,
la conversation se déroule en français. Herre et Kôln le parlent parfaitement. C’est
au-dessus d’une carte détaillée de la région que se poursuit rapidement le
dialogue.
« Je suis au regret,
Herre, mais je refuse catégoriquement d’appliquer votre plan, conclut Kôln. Encercler
la ferme comporte de trop gros risques. L’attaquer de front permettrait à Marienne
et à ses hommes de fuir. Pour monter sans casse l’opération telle que vous l’entendez,
l’effectif d’un bataillon serait nécessaire. Nous ne disposons même pas d’une
compagnie.
— Alors, il faut
alerter la Wehrmacht.
— À votre guise. Mais
ne comptez pas sur moi pour ça non plus. D’après vos propres informations, Marienne
et ses terroristes sont tout au plus une dizaine. Je ne me vois pas réclamant l’intervention
de plusieurs centaines de fantassins pour en venir à bout.
— Enfin, bon Dieu, Kôln,
vous disiez vous-même à l’instant… »
Kôln se lève ; son
visage se tend.
« Vous avez mal
compris. Marienne, c’est votre problème, pas le mien. Il y a près d’un mois que
vous courez après votre proie sans succès. Libre à vous de prévenir l’armée, je
ne suis pas votre nourrice.
— Si je comprends
bien, vous suggérez que nous l’attaquions tous les quatre ?
— Évidemment, et
par surprise.
— C’est un sacré
coup de dés !
— La guerre n’est
qu’une succession de coups de dés. »
Sous les regards
goguenards de Di Constanzo et des deux Francs-Gardes, Herre et les siens
quittent le siège de la Milice et regagnent dans la nuit poisseuse leur vieille
traction avant.
Herre demeure un long
instant songeur. Il ne démarre pas. Allume une cigarette. Des quatre, il est le
moins tenté par cette opération surprise, suggérée par Kôln. Zeller prend la
parole :
« Je crains que
nous n’ayons pas le choix. Cet ordure de milicien boit du petit lait, car il
sait qu’il a raison. Il a sans aucun doute fourré son sale nez dans les fiches
qui nous concernent. Il sait qu’on commence à nous prendre pour des guignols. Si
nous réclamons de l’aide cette nuit, on va, en outre, nous prendre
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