Raimond le Cathare
l’abri. Le siège s’annonce long…
La chaleur de juillet écrase les
habitants comme les assiégeants. Sous le soleil de midi, plusieurs centaines de
ribauds s’ébattent dans les eaux de l’Orb. Ils s’y rafraîchissent et se
désaltèrent joyeusement Tout à coup, leurs rires sont interrompus par des
insultes. Depuis le talus qui domine la rivière, un petit groupe de Biterrois
sortis de la ville pour puiser de l’eau leur jettent des pierres en se moquant
d’eux.
En contrebas, dans le lit de l’Orb,
un géant roux hurle aussitôt ses ordres. Il les répète en plusieurs langues
nordiques. En deux enjambées, il sort de l’eau à demi nu, se précipite sur ses
armes et se lance, suivi de sa horde, à la poursuite des citadins qui courent
désespérément vers la porte de la ville. Le géant et sa meute sont sur leurs
talons.
Ce colosse, c’est le « roi des
ribauds ». Il a été élu par acclamation, le mois dernier, près de Lyon. Il
doit son prestige non seulement à sa force physique, mais aussi à sa grande
expérience des massacres et des pillages. Il a sauvagement participé au sac de
Constantinople, comme beaucoup de ceux qui sont là. Nul n’a autant que lui
éventré, décapité et violé. Mais il n’est pas seulement brutal. Il a aussi
l’esprit vif. En guerrier avisé, il a immédiatement compris tout le parti qu’il
pouvait tirer de la sortie imprudente de ces écervelés.
Au même moment à l’ombre de la
grande tente du légat, les barons croisés attendent une réponse. Sur la table,
une liasse de manuscrits porte les noms de deux cent vingt-trois Bons Hommes.
La croisade demande que Béziers livre ces hérétiques.
En ville, des milliers d’habitants
sont rassemblés sur le parvis de la cathédrale Saint-Nazaire.
— Frères ! s’écrie
l’évêque. Je vous supplie d’obéir ! Faites ce qu’ils vous demandent et
vous n’en souffrirez pas. Sinon, vous périrez tous. Pas un d’entre vous ne
survivra pour compter les cadavres.
D’une seule clameur de protestation,
l’immense foule refuse de livrer les hérétiques. La ville est pourtant
principalement peuplée de catholiques. Mais ici à Béziers, comme chez moi à
Toulouse, et partout ailleurs dans notre pays, nous séparons les affaires
temporelles et les convictions spirituelles. Qu’il soit chrétien, hérétique,
juif ou musulman, chacun peut prier le Dieu de son choix. À nos yeux, la prière
n’a de valeur que si elle s’élève librement.
Béziers, comme toutes nos grandes
villes, est également attachée à ses libertés communales, chèrement conquises,
pas à pas, face à la dynastie, des Trencavel. Depuis plus d’un demi-siècle, la
cité s’administre elle-même par ses consuls élus. De ces libertés civiques, la
croisade veut faire litière. C’est aussi pour sauvegarder ces droits que les
Biterrois refusent de céder aux exigences des légats. Ensemble, ils prêtent
serment de défendre leur mode de gouvernement.
Comptant sur la hauteur et
l’épaisseur de ses murs, sur l’ardeur du soleil de juillet sur les renforts
promis par Trencavel, Béziers, sans inquiétude, défie la croisade et campe sur
ses principes. Les habitants sont si confiants que les plus aventureux n’ont
pas hésité à sortir de la ville pour aller, en bande, défier les assiégeants
sur les rives de l’Orb…
Sous la tente pontificale, les chefs
de l’armée commentent le refus de la population. Les évêques y voient la preuve
de ce qu’ils affirmaient :
— Nous sommes aux portes de la
synagogue de Satan !
Les guerriers, eux, élaborent les
plans de bataille. Combien de jours faudra-t-il pour forcer une ville aussi
solidement protégée ? Combien de machines de siège va-t-il falloir encore
construire ? Où faudra-t-il les disposer ? Ils interrogent Arnaud
Amaury sur le sort qu’il faudra réserver aux habitants : comment distinguer
un mauvais hérétique d’un bon catholique ?
— Ils ont choisi de partager le
même sort, tranche le légat. Tuez-les tous ! Dieu saura reconnaître les
siens.
Le chroniqueur résume la discussion
pour les archives de la croisade : « Les barons de France, les clercs
et les laïcs convinrent entre eux qu’en toute cité qui ne voudrait pas se
rendre, tout le monde, dès qu’elle serait prise, serait passé au fil de l’épée
et tué. »
Des cris et des clameurs
interrompent la réunion :
— Aux armes ! Aux
armes !
Les seigneurs
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