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Raimond le Cathare

Raimond le Cathare

Titel: Raimond le Cathare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Dominique Baudis
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il y a plus d’un siècle sont toujours en vigueur. Elles
s’appliquent à toutes les croisades. Innocent III ne peut pas s’affranchir
de ces dispositions séculaires. Les Croisés n’ont pas le droit de marcher sur
les terres d’un des leurs. Il suffit donc de surmonter notre répulsion et de
nous glisser dans l’armée d’invasion dont nous retiendrons ainsi le cours.
    D’Alfaro baisse la tête pour me
dissimuler son regard. De tout son être, il réprouve ce projet. Pour ce soldat
toujours prêt au combat, c’est une lâcheté face à l’ennemi. En revanche, les
seigneurs de la vallée du Rhône m’approuvent. Ils savent que l’armée rassemblée
à Lyon menace de se répandre sur leurs terres et de les dévaster. L’un d’eux
intervient :
    — Si un homme tombe
accidentellement dans le fleuve, il périra en luttant contre la puissance du
courant. Pour se sauver, il doit se laisser porter par le flot jusqu’à ce qu’il
puisse agripper la terre ferme et reprendre pied sur la rive.
    — C’est ce que nous ferons. Au
prix de toute fierté, et au risque d’encourir le mépris. Les Bons Hommes vont
se sentir trahis. Nous subirons les sarcasmes des légats et des Croisés que
nous allons rejoindre. À l’encontre des apparences, il nous faudra beaucoup de
courage.
    Depuis quatorze ans que je règne, je
n’ai jamais eu à faire un choix aussi douloureux.
     

Dans l’armée
de mes ennemis
    Valence, 2 juillet 1209
     
    Semblables à des milliers de petits
insectes de fer, ils grouillent en tous sens sur la berge du fleuve. Les
derniers rayons du soleil étincellent sur les heaumes et sur les pièces
d’armure des chevaliers qui s’extraient laborieusement de leur carapace. Les
palefreniers, entrés dans l’eau du Rhône jusqu’aux genoux, font boire les
chevaux.
    Depuis le promontoire où nous venons
de faire halte, on découvre d’un seul regard l’immense armée de la croisade. Je
l’observe attentivement avant d’y pénétrer. Chaque seigneur a fait dresser son
camp. Les couleurs de leurs étendards signalent leur présence. Le duc de
Bourgogne, le comte de Nevers et son sénéchal Geoffroy de Pouques, le comte de
Saint-Pol, le comte d’Auxerre, le comte de Bar, le sénéchal d’Anjou, le comte
de Valentinois ; tous les grands du royaume sont au rendez-vous. Chacun
est accompagné d’une troupe encadrée par plusieurs dizaines de chevaliers et
constituée de plusieurs centaines d’hommes armés. Des seigneurs de moindre rang
sont également présents : Guichard de Beaujeu, Lambert de Thury, Gaucher
de Joigny, Guy de Lévis, Simon de Montfort.
    Partout, dans l’immense campement,
fourmille la foule des piétons, des routiers et des ribauds. Vêtus d’étoffes
grossières, ils sont armés de poignards et de haches qu’ils savent manier avec
une adresse mortelle. Des femmes pauvrement mises offrent leurs services
domestiques ou amoureux. Des chants s’élèvent dans la vallée, hurlés en des
langues inconnues. Les voix sont éraillées par le vin.
    Au milieu du camp, la tente blanche
d’Arnaud Amaury se signale par ses dimensions impériales et ses couleurs
pontificales. La croisade que je rejoins a pour chef mon ennemi juré.
    Le légat au visage de lame
m’accueille avec des propos mielleux. Il se félicite de ma présence. Mais après
le miel vient le fiel : il s’étonne de la faiblesse de l’escorte qui
m’accompagne. Je fais mine de ne pas avoir entendu sa perfidie.
    Je ne m’offusque pas davantage du
lieu qu’on nous assigne, à la lisière du camp, pour y dresser les tentes
toulousaines. Nous avons pour voisins des ribauds braillards et des filles
perdues, prêtes à se donner en échange de quelque nourriture pour leurs enfants
dépenaillés. Des cracheurs de feu, sourcils, cils et cheveux brûlés par
l’exercice de leur art, viennent nous distraire et mendier une pièce. Les
latrines du camp, creusées tout près de nos tentes, répandent une odeur
infecte.
    Avec mes compagnons, nous veillons
tard, après avoir partagé silencieusement un copieux repas. Toute la nuit, nous
serons réveillés par les rires gras et les jurons des ivrognes, les soupirs et
les grognements sonores des accouplements furtifs.
    Nous sommes en quarantaine, comme
des malades contagieux.
     
    Le lendemain, dès les premières
lueurs du jour, la fourmilière s’agite. Les bagages sont rassemblés, les tentes
repliées, on charge le matériel à bord des bateaux amarrés à la rive ou

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