Raimond le Cathare
les rives de l’Aude qui coule en contrebas, à l’ouest de la
ville. À la fin de la matinée, ils tiennent tous les points d’eau. Les milliers
d’habitants et de combattants de Carcassonne, ainsi que le bétail qui a été
rassemblé, sont condamnés à vivre sur les seules réserves des citernes dans la
canicule du mois d’août.
Cette première journée d’assaut a
été fructueuse pour les assiégeants. Entouré de mes hommes, j’ai observé
attentivement les opérations. Nous avons tous été impressionnés par le courage
et la combativité d’un des Croisés. Se portant toujours au plus fort de la
bataille, entraînant ses soldats par sa bravoure, secourant ses compagnons
blessés au péril de sa vie, il a forcé notre admiration. Nous avons pu le
reconnaître de loin grâce à son étendard : un lion sur fond de vermeil. Ce
guerrier, c’est Simon de Montfort.
*
* *
Le jour suivant, l’armée se prépare
à l’attaque du Castellar, lorsqu’une immense clameur s’élève chez les
défenseurs. « Le roi ! Le roi ! » La population de la ville
vient se masser sur le chemin de ronde : soldats, femmes, enfants,
vieillards lancent des cris de joie. Sur la crête d’une petite colline viennent
d’apparaître les glorieuses bannières de Pierre II, le roi d’Aragon,
entouré de ses principaux vassaux et d’une centaine de chevaliers.
Les assiégés exultent, ne doutant
pas qu’il vole loyalement au secours de son vassal, Raimond Roger Trencavel.
Les chefs de la croisade, décontenancés, ordonnent à leurs troupes de regagner
les campements.
Pierre et sa suite mettent pied à
terre devant mon pavillon rehaussé d’or et d’argent. Nous nous étreignons
longuement.
D’une taille immense et solidement
bâti, le jeune souverain veille soigneusement à son apparence. Sous un bonnet
de cuir, il porte les cheveux longs jusqu’aux épaules. Ses vêtements de lin
brodé et ses bottes de cuir souple conviendraient mieux à une soirée de fête
qu’à une bataille. Pour être toujours trop bien vêtu, Pierre II n’en est
pas moins un chef valeureux. Il le montre face aux sarrasins, auxquels il livre
une guerre sans merci. Il aime les armes et les femmes. Pour satisfaire ses
passions, il dépense des sommes considérables qui m’ont déjà coûté fort cher.
Je lui ai beaucoup prêté, mais je ne le regrette pas. Nous sommes alliés, amis
et apparentés. Sa sœur Éléonore, que j’ai épousée il y a quatre ans, dans son
pays, à Perpignan, forme entre nous un trait d’union plus solide que n’importe
quel traité. Sa plus jeune sœur, Sancie, est déjà fiancée à mon fils Raimond le
Jeune.
Le roi se désaltère de vin frais et
mange quelques cuisses de canard en m’écoutant relater les événements de
Saint-Gilles et de Béziers. Pour Carcassonne, il peut constater lui-même que
son vassal est en fort mauvaise posture. Il m’avoue son embarras. Son devoir de
suzerain lui dicte de porter secours à Trencavel, et son devoir de vassal du
pape l’oblige à s’incliner devant les décisions d’Innocent III.
Ses exploits dans la guerre de
« reconquista » contre les musulmans lui valent l’amitié pontificale.
Il est allé à Rome pour se faire couronner et a prêté serment devant le
Saint-Père : « Moi, Pierre d’Aragon, je déclare et promets que je
serai toujours fidèle et soumis à mon seigneur le pape Innocent, à ses
successeurs, et à l’Église romaine ; que je garderai fidèlement mon
royaume en cette obéissance en défendant la foi catholique et en pourchassant
la perversion hérétique . »
Lié par un tel serment, comment
pourrait-il affronter l’armée du pape ? Mais comment abandonner Trencavel
sans manquer à l’honneur ?
Pour concilier ses devoirs de vassal
et de suzerain, Pierre va tenter une médiation. Sans armes, simplement
accompagné de deux cavaliers, il s’avance vers Carcassonne, où il entre sous
les ovations. Arrivé au château, il laisse éclater sa colère. Il reproche à
Trencavel de n’avoir tenu aucun compte de ses mises en garde :
— Par Dieu, vous êtes le seul
fautif en cette sale affaire. Si vous aviez banni de votre vicomté ces vauriens
d’hérétiques comme je vous avais ordonné de le faire, vous n’en seriez pas là.
— Les Croisés sèment partout la
ruine, la détresse et le feu. Notre pays se meurt. Il faut les chasser, le
supplie Trencavel.
Le roi dissipe les illusions de son
vassal. Raimond
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