Raimond le Cathare
lettre d’Innocent III destinée aux légats et aux
plus grands barons.
On nous a demandé quelle attitude
l’armée des Croisés devrait avoir à l’égard du comte. Nous vous conseillons
d’employer la ruse, qui dans une occasion semblable doit être appelée prudence.
Vous attaquerez séparément ceux
qui se sont séparés de l’Église.
Ne commencez pas par vous en prendre
au comte, s’il ne se précipite pas follement à la défense des autres. Usez
d’abord d’une sage dissimulation à son égard pour attaquer les autres
hérétiques. Si on les laissait se grouper, et si on les attaquait tous en même
temps, il serait plus difficile de les vaincre. Moins ils seront secourus par
le comte, plus ils seront aisément abattus. Et voyant leur défaite, le comte
fera peut-être un retour sur lui-même. S’il persiste au contraire dans ses
mauvais desseins, on agira plus facilement contre lui quand il sera seul et
privé de secours.
Je comprends maintenant le regard
moqueur que j’ai parfois surpris chez Arnaud Amaury durant ces journées de
marche sur les rives du Rhône. Je pensais me jouer de lui, alors qu’il se
jouait de moi.
Tous connaissent donc ces
instructions pontificales. Je réprime un premier mouvement d’indignation qui me
pousserait à faire irruption dès ce soir sous la tente du légat pour
interrompre le conseil des barons en brandissant le texte et leur dire tout le
mépris qu’ils m’inspirent. Mais à quoi bon leur révéler que j’ai découvert leur
jeu ? Exprimer ma colère pour la soulager serait une faiblesse. Les
réactions instinctives peuvent coûter cher. Je paye aujourd’hui les
conséquences de mon manque de maîtrise face à Pierre de Castelnau, je ne vais
pas recommencer. Utilisons plutôt leurs armes. Puisqu’ils usent d’une
« sage dissimulation » à mon égard, je vais sagement leur cacher que
je ne suis pas dupe de leurs manœuvres.
Tuez-les tous !
Béziers, 21 juillet 1209
Le serpent s’est lové autour des
remparts de Béziers. Ramassée sur elle-même, l’armée assiège la ville. Nous
sommes sortis de mes terres et la garantie de ma présence ne joue plus.
Le territoire des Trencavel sur
lequel règne mon neveu Raimond Roger est « exposé en proie ». Albi,
Carcassonne, Béziers, Limoux et toutes les terres qui entourent ces riches
cités sont à prendre. Les barons du Nord sont à pied d’œuvre. Le pillage n’est
plus interdit et les ribauds s’apprêtent à donner libre cours à leur férocité.
Mon impétueux neveu découvre les
conséquences de son aveuglement L’an dernier, au déjeuner de Carcassonne, il me
considérait comme un poltron quand je le mettais en garde contre les risques de
guerre. Le mois dernier, il m’a traité de lâche en apprenant mon humiliation à
Saint-Gilles. Il y a huit jours, il m’accusait de trahison pour ma présence
dans la croisade. Mais sans doute avait-il espéré que mon sacrifice allait le
sauver et que je payais pour tous les seigneurs du pays. Il croyait pouvoir me
blâmer tout en s’abritant derrière moi.
C’était mal connaître la nature
belliqueuse d’une croisade. La proie attire le prédateur et, quand il est en
marche, on ne l’arrête plus. Puisque je ne suis plus une proie autorisée, il en
faut une autre : Trencavel et ses possessions sont maintenant devant la
mâchoire du monstre.
Mon neveu se précipite à la
rencontre des légats pour offrir sa soumission. Ils la refusent. Le jeune chef
repart alors aussitôt mettre Béziers sur le pied de guerre. Convoquant ses
vassaux, réunissant les cavaliers et les hommes les plus vigoureux, il organise
précipitamment la défense de la ville, qui dresse ses remparts au-dessus des
rives de l’Orb.
— Courage, leur dit-il, tenez
bon, nous vaincrons. Dieu vous garde ! Il me faut maintenant aller à
Carcassonne chercher des renforts.
Il part au triple galop, emmenant
avec lui des hérétiques et des juifs de Béziers pour les mettre hors de danger.
*
* *
L’armée se déploie, les tentes se
dressent, les hommes s’installent dans leurs campements. Autour de la cité
séculaire, une ville de toile s’est édifiée en quelques heures. Comme pour
rivaliser avec les monuments de Béziers, elle érige les siens :
mangonneaux, trébuchets, onagres, catapultes. Les machines de siège dressent
leurs gigantesques bras de bois bardés de fer et harnachés de cuir.
Sur les remparts, les défenseurs se
sentent à
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