Raimond le Cathare
lices pour retrouver leur souffle et laisser
les catapultes entrer en action. Les pierres volent sur la chatte et vers le
groupe de chevaliers qui tentent d’évacuer Guy.
Noire et rapide comme un rapace,
elle tombe du ciel pour fondre sur sa proie. La pierre lancée par les
Toulousains vient droit sur le heaume de Simon de Montfort. Sous la violence du
choc, le métal éclate et le crâne se brise. Il chancelle un instant fait un pas
puis tombe droit à la renversé, les bras en croix, raide mort.
Sur le champ de bataille le vacarme
a cessé. Durant un bref instant règne un silence tel que je crois entendre
chanter un oiseau. Tout est suspendu devant ce basculement du destin.
Et puis soudain une ovation sans fin
s’élève de nos remparts, elle se propage dans les rues, monte dans les étages
et s’amplifie jusqu’en haut des églises où les guetteurs s’époumonent sur leurs
trompes. Les cloches de la ville font résonner l’air de Toulouse des vibrations
de la victoire et de la liberté.
Sur le chemin de ronde, je me laisse
tomber à genoux et je prie. Pour une fois, pour la première fois peut-être, je
ne demande rien à Dieu. Je ne l’implore pas. Je n’ai plus qu’à lui dire merci.
Épilogue
Le manuscrit caché
Toulouse, château Narbonnais, été
1218
C’est notre premier été de paix
depuis près de dix ans. Le vent d’autan a chassé les relents des chairs
décomposées. La nuit n’est plus hantée par les cris des blessés, les râles des
mourants et par nos rêves noirs comme l’enfer des jours que nous vivions.
Toulouse embaume à nouveau de tous les parfums des vergers environnants. Les
jeunes pousses ont percé sous les cendres des dévastations. Le soir, les chants
et les musiques résonnent dans la ville ressuscitée.
Hélas, ce délicieux été sera pour
moi l’un des derniers. Usé par la guerre et âgé de plus de soixante ans,
j’attends le jugement de Dieu. C’est le seul qui m’importe désormais.
J’ai beaucoup péché, comme tous les
hommes. Plus gravement peut-être, car les fautes des puissants sont lourdes de
conséquences pour leur prochain. Mais j’ai expié au centuple ici-bas. Si j’ai
mérité un châtiment, il m’a déjà été infligé par l’Église. Elle s’est acharnée
contre moi tout au long de ma vie. Elle n’a jamais cessé de me combattre et de
me persécuter. Elle a voulu faire périr mon corps et envoyer mon âme au Diable.
Foulques proclame partout qu’il
refusera une sépulture chrétienne à celui qu’il nomme toujours « Raimond
le Cathare ».
Le jugement des hommes est déjà
formé. Les uns me méprisent au-delà de ce que mes torts pourraient justifier.
Les autres me respectent au-delà de ce que mes mérites permettaient d’espérer.
À cette haine et à cet amour
excessifs et indissociables aurais-je préféré l’indifférence ? Au soir de
ma vie, je me laisse aller à le croire. Mais l’indifférence était inconcevable
pour celui que l’Histoire et sa propre destinée ont placé au cœur d’un terrible
enchaînement de circonstances.
Cette guerre de dix ans est enfin
terminée. Je pensais pourtant n’en jamais voir la fin. Parmi les miens comme
dans les rangs de mes ennemis, tant d’autres ont succombé que chaque matin, au
réveil, je m’étonne d’avoir survécu.
J’ai laissé la charge du pouvoir à
mon fils Raimond le Jeune. Comment faire œuvre utile de cette extrémité
d’existence ? En savourant la vie, en dégustant chaque plaisir jusqu’au
plus simple. Ainsi, celui de respirer l’air de mon pays pacifié et victorieux.
N’étant plus harcelé par l’urgence des décisions ou les préparatifs des batailles,
je peux prendre mon temps et relire les nombreuses chroniques écrites au fil
des jours dans le feu de l’action. Les unes sont dues à des plumes amies. Les
autres ont eu pour auteurs des adversaires, dont les récits me permettent
aujourd’hui de savoir ce qui s’est passé dans l’autre camp. Je peux aujourd’hui
les méditer à loisir dans le silence retrouvé, à l’abri des murs de brique du
château Narbonnais.
Mon esprit est en paix. Mon
successeur, mon fils Raimond le Jeune, a de l’envergure. N’a-t-il point volé à
mon secours avant même l’âge de vingt ans, mettant en échec Simon de Montfort,
l’un des plus redoutables chefs de guerre de l’Histoire ? Comme tout le
monde, j’ai bien vu que mon fils était plus valeureux que moi. Mais je ne
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