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Refus de témoigner

Refus de témoigner

Titel: Refus de témoigner Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ruth Klüger
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dénazification
était malhonnête et inefficace, même à quatorze ans on pouvait s’en rendre
compte tout de suite. Et le fait qu’ils avaient conquis la jeunesse allemande à
leurs jeux, à leurs films et à leur chewing-gum ne me les rendaient pas plus
sympathiques. Je voulais gagner Erez Israël, la Palestine, pour y aider
à construire un État juste, c’est-à-dire un État juif socialiste. Mais en
Palestine, il y avait les Anglais et, en ce qui concernait l’émigration juive, ils
restaient aussi intransigeants qu’ils l’avaient toujours été.
    Pour finir, c’est ma mère qui a pris la décision, sans guère
me consulter. Nous aurions pu arriver en Palestine illégalement, mais assez
vite, en passant par l’Italie. Ma mère ne voyait que les risques. Si le bateau
tombait entre les mains des Anglais, il faudrait aller à Chypre et là nous
pourririons encore dans un camp. Elle n’en avait pas envie. Je ne peux pas le
lui reprocher aujourd’hui et je le comprenais même à l’époque, je n’avais pas
été gâtée en ce qui concernait la satisfaction de mes désirs, mais ce fut quand
même un coup très rude. Elle était bien vue des Américains et pensait donc qu’en
Amérique aussi tout se passerait bien. Je me consolais en me disant que d’Amérique
je pourrais repartir pour Erez Israël et que l’essentiel était d’arriver
seulement à sortir de là. J’avais appris à attendre, mais je ne pratiquais cet
exercice qu’avec impatience. Avec le retard et avec l’impatience se tissait, sans
qu’on le cherchât et sans qu’on l’ait voulu, un lien de plus en plus étroit
avec l’Allemagne, la langue allemande, les livres allemands, et même les hommes
et les femmes allemands. Pour finir, une famille allemande avait trouvé place à
côté de nous dans l’appartement, et quelques-unes de nos anciennes
connaissances de Straubing nous ont même encore rendu visite à New York.

V
    À l’automne 1945 se posa la question de l’école. Je n’avais
jamais été au collège ni même à l’école primaire. Par rapport au niveau des
connaissances et à la formation systématique, j’aurais dû aller à l’école avec
de jeunes enfants, car je savais moins de choses que les enfants de mon âge, mais
avec l’expérience de la guerre, j’étais de la génération ancienne. Je ne me
serais intégrée à aucune classe, surtout pas dans une école allemande.
    Je pris donc des cours particuliers dans toutes les matières
enseignées à l’école. Je le faisais avec plaisir, car je voulais apprendre et
acquérir le plus de connaissances possible pour échapper à ce que je savais
réellement, mais ce ne fut pas vraiment une révélation. Je fis un peu de latin,
un peu de mathématiques, un peu d’anglais, un peu d’histoire de l’Antiquité et
du Moyen Âge. Les professeurs venaient à la maison, ou j’allais chez eux, ma
mère payait officiellement avec de l’argent sans valeur, clandestinement avec
de précieuses cigarettes américaines. Elle n’avait aucun respect pour le savoir
scolaire, mais une immense considération pour les diplômes. Au début Ditha
était avec moi, mais ensuite ce fut elle qui émigra la première aux États-Unis,
une fois qu’un oncle qui vivait à Saint Louis eut retrouvé sa trace.
    Mais Olga, ma meilleure amie de Theresienstadt, travailla un
certain temps avec moi. Son père, le professeur de mathématiques aux cheveux
ébouriffés qui nous racontait les histoires de Hertha, déesse de la Terre, était
mort. Lorsque nous apprîmes qu’Olga était encore en vie, ma mère l’invita à
venir habiter avec nous à Straubing. J’étais heureuse de la retrouver. Ma mère
invitait tout le monde, était bonne avec tout le monde. C’est l’époque où je l’ai
le plus aimée et même admirée, parce qu’elle était prête à tout partager et que
je pouvais la partager avec d’autres. C’était du reste aussi une époque où je
ne passais pas beaucoup de temps avec elle. Elle avait maintenant un poste à
Ratisbonne, à l’UNRRA, United Nations Relief and Réhabilitation Administration, organisation chargée de l’administration des displaced persons. Elle
aidait à rétablir les contacts entre les familles éclatées, elle portait un
uniforme vert, elle avait l’air toute fraîche et en pleine forme, elle ne
venait à Straubing que les fins de semaine.
    Les précepteurs étaient ma principale source de contact avec
l’Allemagne non juive. Ils formaient un

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