Remède pour un charlatan
sage conversation. Je vous apporte un message de mon maître. Il vous plaint du fond du cœur pour la mort de votre ami et vous demande dès à présent d’oublier le règlement des cérémonies – jusqu’à ce que vous gagniez la somme suffisante pour payer. Sauf que, si vous aviez un petit sou pour son serviteur, cela serait fort apprécié. Le maître demande si nous devons faire des préparatifs pour demain soir…
Il remplit une fois leurs gobelets.
Les garçons se regardèrent d’un air incertain. L’idée de continuer ne leur était jamais venue, maintenant qu’Aaron était mort. Lorens était leur porte-parole mais, avec ses manières discrètes, Aaron était le véritable instigateur de la plupart de leurs actes.
— Il ne me semble pas… commença Marc.
Il s’arrêta aussitôt. Il repensait à la grande salle de Marieta, chaude et colorée, tendue d’étoffes chatoyantes, éclairée de plus de lampes et de bougies que son père n’en avait pour l’atelier et la maison réunis.
— Mais si vous croyez… fit-il en adressant un regard implorant à Lorens.
— C’est très généreux de la part de votre maître, dit Lorens, sur ses gardes. Mais je ne pense pas…
Il se tourna vers Marc et haussa les épaules.
— Adressez-lui nos remerciements et dites-lui que nous le verrons demain.
— Mon maître se réjouira de ces nouvelles, dit Lup.
Sur ce, il s’en alla, laissant sur la table le pichet de vin déjà réglé.
Le faubourg de Sant Feliu était né à l’ombre du mur nord de la ville de Gérone. Il s’était lentement développé en direction du nord et de l’est quand des citadins de toute sorte et de toute condition – plus particulièrement ceux qui travaillaient de leurs mains – avaient bâti leurs maisons hors de l’enceinte de la cité. Il abritait l’établissement discret de Doña Marieta, mais c’était également là que la fille d’Isaac, Rebecca, vivait avec son mari, le chrétien Nicholau Mallol, et leur fils âgé de deux ans, Carles. Nicholau gagnait sa vie comme scribe, travaillant quand il le pouvait pour la cathédrale et les tribunaux ecclésiastiques. Leur maison constituait toujours une étape pour Isaac lorsqu’il faisait la tournée quotidienne de ses patients : sinon, il n’aurait jamais parlé à sa fille, rencontré son gendre ou partagé la vie de son petit-fils. La conversion et le mariage de Rebecca avaient porté à sa mère un coup dont elle ne s’était jamais remise ; dès le jour où sa fille aînée avait quitté le foyer, Judith avait tout fait pour la chasser de sa mémoire. Isaac lui rendait donc visite, mais il n’en parlait jamais ; malgré tout, il rappelait parfois à sa femme qu’elle avait un petit-fils et une fille qui aimait toujours sa mère.
Ce matin-là, plus tard dans la même semaine, il s’était rendu au palais épiscopal, où Berenguer avalait toujours d’amers remèdes contre la goutte, buvait de l’eau à la place de vin, mangeait herbes, graines et autres fruits de la terre au lieu de riches plats en sauce et se plaignait des rigueurs de l’administration et de l’incompétence de ceux qui l’entouraient.
— Un jour, Isaac, mon ami, bientôt, dit-il, je rangerai dans un sac les livres auxquels je tiens le plus, y ajouterai une paire de bonnes sandales et me retirerai dans la montagne, dans le monastère le plus élevé et le plus éloigné qui veuille bien m’accepter.
— Cela serait sans aucun doute idéal pour votre goutte, Votre Excellence, répondit Isaac. Un régime alimentaire fait de légumes, de pain et d’eau, mais aussi un régime spirituel composé de prière et de dur labeur, voilà qui serait excellent. Vous devez guérir rapidement pour envisager cela.
Il rit et s’apprêta à partir.
— Pourquoi une telle hâte ? demanda Berenguer. Isaac, Isaac, je suis comme une âme errante, confiné dans mon cabinet et ma chambre à coucher, à écouter des rapports du monde extérieur et incapable d’agir.
— Je vais rendre visite à Rebecca.
— Dans ce cas, partez. Je vous en prie, transmettez-lui mes meilleures pensées, maître Isaac, dit Berenguer avec chaleur. C’est une femme intelligente et pleine de ressource, la digne fille de son père. Elle mérite une vie agréable, ajouta-t-il d’un air pensif. J’ai d’ailleurs réfléchi à ce que je pourrais faire pour elle. Non, ne m’interrompez pas. J’ai observé son mari récemment. Il ne réclame ni faveurs
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