Remède pour un charlatan
ni privilèges, même s’il a pour cela de meilleures raisons que quiconque.
— Je ne suis pas surpris. Il sait faire preuve de modestie.
— Je suis d’accord. Mais c’est aussi un brave homme et un excellent scribe, intelligent et précis. J’ai en tête une réorganisation mineure du travail au tribunal, et maître Nicholau pourrait en profiter s’il le souhaite. Mais ne dites rien à votre fille, car il y a quelques problèmes politiques à résoudre avant que ceci ne soit fait.
— Je suis certain qu’ils vous en seraient très reconnaissants. Pour l’heure, le travail est réparti de telle sorte qu’il a plus de loisir qu’il ne le souhaiterait.
— Plus de loisir et moins d’argent, précisa Berenguer.
— C’est vrai, Votre Excellence.
— Ce poste s’accompagne d’un traitement annuel, fit remarquer l’évêque. Bien. Un instant, j’ai oublié mon orteil douloureux en prenant plaisir à réfléchir à ce que je pourrais faire pour votre fille. Un argument de poids, quoique égoïste, en faveur de la générosité. Dites-moi, Isaac, vous qui êtes expert en logique. Si j’accomplis un acte généreux, non pas parce qu’il vaut mieux agir ainsi que de manière contraire, mais parce que cela me donne l’impression fausse que je suis meilleur qu’autrui, cela annule-t-il la valeur de l’acte en question ?
— Comme vous le savez pertinemment, monseigneur Berenguer, dit le médecin, vous qui connaissez aussi bien que moi la logique et les autres arguments des Grecs, vous confondez de propos délibéré un acte vertueux avec ses causes, lesquelles sont parfois vertueuses et parfois ne le sont pas. Il convient de séparer avec soin ces deux choses et de les étudier de manière distincte.
— Mais aussi de comparer à tout le reste l’importance de chaque acte et de sa cause. Voilà qui est excellent, mon ami. Nous pourrions établir autour de ce point une controverse qu’il nous faudrait trois jours pour résoudre. Mais que je ne vous retienne pas. Rendez visite à votre bonne Rebecca, et nous garderons cette discussion pour un autre après-midi de goutte. Une alternative aux échecs, pourquoi pas ?
— Ton protecteur, Sa Majesté Don Pedro, s’est enquis de toi dans sa dernière lettre à l’évêque, Yusuf, dit Isaac quand il eut rejoint son jeune apprenti devant la porte du palais épiscopal.
— Bientôt, seigneur, très bientôt, je pourrai écrire à Sa Majesté et lui adresser mes remerciements les plus sincères pour la protection qu’il m’assure.
— Pas si je ne cesse d’interrompre tes leçons, rétorqua Isaac. Rendons-nous vite chez Rebecca afin d’être rentrés à temps pour dîner.
Il posa doucement la main sur l’épaule de Yusuf et se dirigea vers la porte nord de la ville.
— Que sais-tu de ce qui se passe en ville ? demanda Isaac une fois qu’ils furent confortablement installés dans la maison, petite mais coquette, de Rebecca. Entre cette nouvelle épidémie de fièvre…
— Et la goutte de l’évêque, interrompit Rebecca. Chacun a entendu parler de la goutte de l’évêque. Ses grognements résonnent du palais jusqu’au tribunal.
— C’est vrai, dit Isaac en riant, n’oublions pas la goutte de l’évêque ! J’ai l’impression d’avoir été prisonnier de toutes les chambres de malades de la ville et tenu à l’écart des nouvelles.
Nicholau leva les yeux du jouet qu’il était en train de réparer.
— Les dernières nouvelles proviennent de la bourse à la laine, maître Isaac. Elles concernent Pons Manet.
— Le lainier ?
— Lui-même.
Il reposa le jouet.
— Il y a trois types de rumeurs, me semble-t-il, toutes relatives aux intrigues de maître Pons pour décrocher un siège au conseil.
— N’est-ce pas chose assurée pour l’instant ? demanda Isaac.
— Peu importe. Ils préfèrent penser qu’il complote ou verse des pots-de-vin pour diriger la bourse ou même le conseil. Ils le disent assez ambitieux pour devenir duc, comme si quelqu’un d’aussi pauvre naissance pouvait se hisser à un tel niveau. Mais on s’accorde à dire que de puissants intérêts, même s’il existe des divergences quant à leur identité…
— Nicholau, fit Rebecca, papa ne peut rester ici toute la journée.
— Laisse-le, ma fille. Il raconte parfaitement bien.
— … de puissants intérêts, donc, seraient décidés à l’arrêter. On dit aussi qu’il a été menacé de mort, s’il insiste,
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