Remède pour un charlatan
majeure partie de la nuit – et il s’abandonna aux plaisirs sensuels de la cour : le soleil sur son dos et ses épaules, le doux murmure de la fontaine, le bruissement des feuilles et la chaude senteur des grappes de raisin. Le chat Feliz sauta sur ses genoux et son ronronnement se mêla à la voix claire de Yusuf quand il lut, lentement et avec soin, une page du Materia Medica, trébuchant de temps à autre sur des mots compliqués.
Un peu plus tard, à Sant Feliu, dans la maison de Doña Marieta, un autre mardi soir s’écoula pour deux jeunes hommes et non plus trois.
Le mercredi matin, Martin, le fils cadet de Ramon le tisserand, actionna avec insistance la cloche du portail de la maison d’Isaac. À travers le fer forgé de la grille, Ibrahim vit un garçon mince et couvert de poussière.
— Que veux-tu ? grogna-t-il.
Par nature, il se méfiait des jeunes garçons.
— Messire, dit Martin en s’accrochant à la grille et en parlant le plus vite possible, vous devez tout de suite venir avec moi. Mon père m’a dit de courir de toutes mes forces avant qu’il ne meure, haleta-t-il.
Ibrahim le considéra avec étonnement.
— Je dois venir ?
— Il va mourir, répéta le garçon. En ville, messire. Un terrible désastre.
Ibrahim le regardait toujours, interloqué.
Martin semblait pris de frénésie.
— C’est mon frère, messire, une grande maladie, et mon autre frère dit que le Jugement dernier nous attend. Et aussi Bonanata. Qu’allons-nous faire ?
Ibrahim recula, épouvanté. De tout ce fatras, il n’avait retenu que « mort », « désastre » et « Jugement dernier ».
— Tu me veux, moi ? demanda-t-il.
— N’êtes-vous pas maître Isaac, le médecin ?
Il recula encore d’un pas.
— Maîtresse ! appela-t-il. Maître ! Maîtresse Raquel ! Venez vite ! Un désastre !
Raquel dévala les marches de l’escalier, suivie de près par sa mère, et faillit heurter son père.
— Papa ! Que s’est-il passé ?
— Je l’ignore. Ibrahim, de quoi parles-tu ? Qui est ici ?
— C’est un jeune garçon, père, de dix ou onze ans, dit Raquel. Ibrahim, ouvre-lui.
Ibrahim tourna la clef dans la serrure et écarta le battant de la porte.
— Douze, fit le garçon sur un ton indigné, recouvrant sa voix normale.
Il entra et observa la cour ombragée en hochant la tête d’un air approbateur.
— J’avais sept ans l’année de la peste noire, et je sais compter.
— Fort bien, mais qui es-tu ? lui demanda Isaac.
— Je m’appelle Martin, messire, dit-il avant de s’incliner devant Isaac. Mon père est Ramon le tisserand et mon frère Marc est très malade. Papa dit que vous devez venir immédiatement. Si vous le voulez, ajouta-t-il, un peu confus.
— Parle-moi de sa maladie, si tu le peux, afin que je sache quoi emporter avec moi, dit Isaac.
— Il s’est éveillé ce matin avec une grande soif, il délirait et voyait des choses qui n’existent pas. Maintenant nous ne pouvons plus le réveiller, et, quand il respire, il fait des bruits étranges.
— Quand cela a-t-il commencé ?
— Il était en bonne santé hier soir. Il a pris un bon souper.
— Dans ce cas, faisons vite. Raquel, remplis le panier.
Ils disparurent tous deux dans le cabinet d’Isaac. C’est là qu’il conservait ses herbes, les écorces destinées aux infusions et les essences à donner en gouttes, ainsi que les emplâtres pour les brûlures, les blessures et les infections, le tout bien disposé sur des étagères afin que sa cécité ne l’empêchât pas de choisir ce dont il avait besoin.
— Que vous faut-il, papa ?
— Des émétiques et des stimulants. Et aussi des tisanes pour calmer l’estomac, purifier les entrailles et rafraîchir le sang. Il serait également bon d’inclure des soporifiques s’il a des spasmes. Nous ne pouvons nous fier à la description de cet enfant.
— Il a été empoisonné ?
— Certainement. Ce dont je suis sûr, c’est qu’il est très malade, car Ramon n’est pas homme à jeter l’argent par les fenêtres. Son avarice est légendaire. Mais poison ou contagion, ce traitement devrait pouvoir le garder en vie assez longtemps pour que son corps reprenne le dessus. Où est Yusuf ?
— Il est au marché, Isaac, dit Judith. Il a demandé la permission de sortir avant de prendre sa leçon. Je ne savais pas que vous auriez besoin de lui.
— J’aurais aimé… mais peu importe. Il apprendra ces choses
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