Remède pour un charlatan
quotidiens.
— Isaac, c’est cela qui fait de vous le meilleur médecin du royaume, dit Berenguer avant de sonner pour que l’on dresse l’échiquier.
CHAPITRE III
À l’heure où la pause du dîner prenait fin pour les travailleurs de la ville, un petit nuage bleu foncé flottait au-dessus de l’horizon, comme accroché au sommet de la montagne. Avant que l’observateur le plus perspicace, ou le plus oisif, eût remarqué quoi que ce soit, les nuages avaient recouvert le soleil. Le vent se leva, le tonnerre gronda et un orage éclata. L’eau se déversait des cieux, trempant immédiatement tout être et toute chose qui ne fût pas à l’abri. Elle dévalait les rues du Call pour former de petits lacs ; elle transformait champs et chemins en mers de boue. Il plut pendant près de deux heures, puis cela s’arrêta, aussi soudainement que cela avait commencé. Les nuages s’en allèrent vers les collines voisines ; le soleil réapparut, et la vapeur s’éleva de la terre humide. Avec leurs bottes imbibées d’eau, leurs tuniques détrempées et leurs cheveux plaqués sur la tête, des hommes s’étaient engouffrés dans la taverne de Rodrigue afin d’échapper à l’orage. Ils avaient jeté leurs habits sur des bancs pour les faire dégoutter sur le sol déjà mouillé.
Dans un coin reculé, loin de la foule des buveurs, Marc, le fils du tisserand, et Lorens, le séminariste, étaient assis devant un gobelet de la pire piquette de Rodrigue.
— Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? murmura Marc.
— Rien, répondit son compagnon en le regardant dans les yeux. Nous n’avons rien fait. Et Aaron n’a rien fait.
— Tu trouves que c’est rien ? demanda Marc. Dans ce cas, pourquoi est-il mort ?
— Les hommes meurent, dit Lorens. Tout le temps. Des fièvres, d’accès imprévus, de toutes sortes de désordres inexpliqués. Cela n’a rien à voir avec nous. Aaron était un ami, oui, un garçon intéressant.
Il ralentit son débit pour donner plus de poids à ses paroles.
— Je le regretterai amèrement, mais en aucun cas nous ne sommes responsables de sa mort. C’est une triste perte, mais cela s’arrête là.
Il vida son gobelet, puis regarda avec étonnement sa main qui tremblait tant qu’il eut du mal à le reposer sur la table.
— Permettez-moi de vous en offrir un autre, jeune maître, dit une voix derrière lui. C’est un temps bien cruel pour cette période de l’année.
Un gobelet vide fit son apparition sur la grossière table à tréteaux.
Lorens se retourna, surpris, et découvrit tout près de lui le visage balafré et le sourire crispé de Lup, le serviteur et assistant de maître Guillem.
— Je ne savais pas que vous veniez boire chez Rodrigue, Lup, dit-il.
En entendant son nom, le tavernier tourna la tête. Il vit le signe que lui adressait Lup et, sans dire un mot, emplit son gobelet d’un breuvage supérieur au vin clair et aigre qu’il servait d’habitude. Avant que Lorens et Marc pussent protester, Lup était assis avec eux ; leurs gobelets se remplirent et le pichet fut déposé sur la table d’un air engageant.
— C’est une bien triste chose qui est arrivée à votre ami. Maître Guillem en a été très ému. Il s’est enfermé dans sa chambre et a prié pour lui dès l’instant où il appris la sinistre nouvelle.
Lup leva son gobelet, comme pour porter un toast, et but.
— Que savez-vous de sa fin ? Était-il malade ?
— Pas à ma connaissance, fit sèchement Lorens. Il semblait parfaitement bien quand nous l’avons vu pour la dernière fois. C’était en revenant de chez Doña Marieta.
— Vous n’avez rien trouvé de bizarre dans ses manières, ce soir-là ? demanda Lup. Maintenant que j’y pense, il me semble qu’il était quelque peu égaré…
— Pas du tout, répliqua Lorens. Vous croyez cela uniquement parce qu’il est mort le lendemain.
— Vous avez sans aucun doute raison, jeune maître, dit Lup avec humilité.
— Il y a d’étranges rumeurs autour de sa mort, intervint Marc. Les gens parlent de sorcellerie.
— Les gens parlent toujours de sorcellerie quand quelqu’un meurt avant sa dix-huitième année, sauf lorsqu’il s’agit d’une rixe ou d’une femme en couches, dit Lorens.
— Vous avez la tête sur les épaules, maître Lorens, fit Lup d’un air admiratif. Le monde a besoin de gens comme vous, ou comme votre ami. Mais, hélas, je ne suis pas ici pour jouir de votre
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