Remède pour un charlatan
soucis m’assaillent de toute part.
— Quel genre de soucis ?
— Je dois vous avouer, en toute confidence, qu’au cours de ces deux ou trois derniers mois, j’ai vécu mon enfer privé, ici, sur cette terre. Je n’ai pas parlé de cela…
Une quinte de toux l’obligea à se taire un instant. Puis il reprit avec énergie :
— Cela a débuté quand quelqu’un – dont je ne connais toujours pas l’identité – m’a accusé d’avoir une concubine mauresque…
— Est-ce vrai ?
— Non. Je suis parfaitement satisfait de ma brave épouse, Joana. Je n’ai point besoin d’autres femmes, et l’idée d’acheter l’amour me répugne. Mes péchés sont d’une autre sorte : la colère, et le défaut perpétuel des marchands, l’avarice. Mais ce n’est pas tout. Une autre personne – payée, sans aucun doute, pour déposer plainte – a accusé mon fils aîné, un être doux et droit, heureux en ménage, d’avoir violenté une femme juive. Je ne peux croire à une chose pareille.
— Quelle preuve a-t-on avancée ?
— Aucune plaignante n’a été identifiée, mais l’accusateur – car c’était un homme – a insisté sur le fait que seule la honte l’empêchait de se présenter aux tribunaux. Le prix du châtiment pour adultère avec une femme qui n’est pas de votre confession est très élevé, comme vous le savez peut-être. Et j’ai cru bon de régler ces deux affaires avant que la question de l’emprisonnement ne se pose. Ces accusations n’ont pas été rendues publiques, mais elles m’ont beaucoup coûté, tant en argent qu’en inquiétude. S’il y en a d’autres de ce genre, elles pourraient provoquer ma ruine ou mon emprisonnement, ou les deux.
— Je vous comprends parfaitement, maître Pons. Un patient m’a menacé un jour de m’accuser d’avoir une maîtresse chrétienne, et je me souviens très clairement de la colère et de l’inquiétude… non, de la fureur qui s’était emparée de moi. Ce fut une période difficile.
Oh oui, songea-t-il, car un moment Judith avait cru que cette accusation était le reflet de la vérité.
— Moi aussi, maître Isaac, j’ai enragé comme un dément jusqu’à ce que la raison reprenne le dessus. Et puis quelqu’un – un membre de ma famille, très cher à mon cœur – est venu me trouver hier pour me demander une somme énorme. Il en avait besoin pour se protéger de la sorcellerie. Trois attaques à l’encontre de la réputation et de la richesse de ma famille en si peu de temps ne peuvent être coïncidence, me semble-t-il.
— C’est peu probable, en effet, mais en quoi puis-je vous assister ?
— J’ai pensé que si quelque personne mauvaise, quelque sorcier, cherchait à me détruire ainsi, je devrais m’adjoindre l’aide d’un homme bon et sage afin de lutter contre sa malignité.
— Maître Pons, je serais le dernier de ce grand royaume à nier la puissance du mal en ce monde, dit Isaac, mais il y a pour cela des remèdes meilleurs qu’un affrontement direct. Croyez-en mon expérience, la simple prudence peut faire beaucoup dans le combat contre le mal.
— Que voulez-vous dire ?
— Le mal a d’autres armes que la menace et la malédiction, fit-il en se penchant vers le lainier. Il a recours aux flèches des archers et aux poisons de la terre. Et ceux-ci sont plus rapides que les sorts, plus efficaces aussi. À votre place, je garderais près de moi mon parent et surveillerais attentivement ce qu’il mange et ce qu’il boit.
— Pour l’heure, il loge dans l’endroit le plus sûr au monde qui soit, mais je vais voir comment je peux lui assurer une plus grande sécurité.
— Je mènerais aussi une vie très vertueuse, irréprochable, pour interdire à quiconque de témoigner contre moi. Le temps rendra vos ennemis impatients et ils se révéleront d’eux-mêmes.
— Il y a du juste dans ce que vous dites, fit le négociant. Mais c’est difficile.
— Quant à vous, vous devez reprendre des forces pour supporter de tels fardeaux. En premier lieu, vous devez dormir, et c’est là ma prescription. Dès l’instant où le soleil se couche, je vous conseille d’éviter les mets qui échauffent le sang et réveillent votre bile. Ils nourrissent votre colère. Pour souper, prenez du bouillon, un fruit et du pain. Et quand vous êtes prêt pour le lit, passez une robe chaude, buvez l’infusion d’herbes que nous vous laisserons et agenouillez-vous. La tête
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