Remède pour un charlatan
chaque repas. Je vais également vous envoyer des herbes à boire en infusion avant que de vous coucher. Chaque jour, faites une longue promenade quand l’air est bon et vif, même si cela doit vous obliger à sacrifier quelques heures d’honnête labeur. C’est très important. Soupez léger, ne buvez qu’une coupe de vin mêlé d’eau. Si vous découvrez que vous avez parlé avec quelqu’un qui a la peste, ôtez tous vos vêtements avant de rentrer chez vous, lavez votre corps et vos habits et passez du linge propre. Il semble que la contagion rôde autour de ceux qui ont la maladie et s’abatte sur quiconque les approche. Pour les herbes et les gouttes, vous me devez cinq pièces. Vous n’avez pas besoin de me payer maintenant. Et je reviendrai quand vous me le demanderez, avec ou sans or.
— Qu’allez-vous lui envoyer, papa ? demanda Raquel dès qu’ils eurent quitté le négociant.
— Des gouttes pour aider à la digestion et des herbes pour le faire dormir, dit son père. Cela ne lui fera pas de mal, et il se sentira mieux. L’exercice physique et une alimentation modérée calmeront sa tendance à l’apoplexie. J’aurais pu lui demander moins d’argent, mais il n’aurait pas cru à l’efficacité de mes remèdes.
— Et la toilette ?
— Cela ne peut faire de mal, mon enfant, et c’est peut-être cela qui nous a sauvés. Avec le secours du Ciel, bien entendu.
Il pressa le pas.
— Ce qui m’inquiète, ce sont ces histoires de sorcellerie. Je savais qu’on en parlait en ville, mais je ne me rendais pas compte qu’elles s’étaient répandues aussi vite. Je crois que je vais devoir en parler à Son Excellence avant que…
Il fut interrompu par des hurlements suraigus – une voix de femme, déformée par la fureur et l’hystérie.
— La voilà, c’est la putain qui a jeté un sort à mon mari ! Tuez-la !
Des portes s’ouvrirent, des pieds claquèrent sur les pavés, des rires d’ivrognes jaillirent d’une taverne.
— Vas-y toi-même, la mère ! cria un homme à la voix grave.
Quelqu’un lui répondit, de la colline ou d’une fenêtre :
— Noie-la dans la rivière !
— La sorcière ? demanda l’homme à la voix grave.
Quelqu’un d’autre hurla à pleins poumons :
— Mais non, la matrone ! Ça lui rafraîchira les idées !
Un tonnerre de rires accueillit cette saillie.
— La sorcière s’échappe ! lança une autre femme.
Isaac perçut le bruit d’une pierre contre une façade de maison. Une voix terrorisée appelait au secours. La foule grondait de plus belle.
Raquel saisit son père par le bras et voulut l’entraîner vers le quartier juif.
— Attends, Raquel. Cette femme est en danger.
— Non, papa. La foule est bien trop nombreuse, elle est incontrôlable et elle nous sépare de cette malheureuse. Nous ne pouvons rien pour elle. Ils se retourneraient contre nous.
Isaac comprit que Raquel avait raison. Il la laissa le ramener à la maison.
Effrayé, Jacob entrebâilla la porte. Il les laissa entrer et referma, avant de regarder par le trou de la serrure.
Les cris de la foule cessèrent brusquement et, dans le silence surnaturel qui s’ensuivit, ils perçurent le bruit des sabots des chevaux et la voix puissante de l’autorité.
Yusuf les attendait. Il était assis dans la cour au chaud soleil d’octobre, un livre posé devant lui, et il ignorait le tumulte extérieur. Pour lire, il suivait du doigt et répétait les mots en un doux murmure.
— Tu es déjà au travail, approuva Isaac. Excellent. Tu seras bientôt très calé en grammaire. As-tu rencontré une foule en venant ?
— Non, seigneur, dit Yusuf en se levant. Je suis passé par la porte nord et tout était très tranquille.
— Bien. Il y a quelque tumulte de l’autre côté de la ville. Qu’as-tu appris des habitudes de maître Marc ?
— Son frère m’a dit fort peu de chose. Martin est sûr qu’il avait des amis, mais il ne les connaît pas. Il n’a jamais prononcé leurs noms. Bonanata m’a confié qu’en de nombreuses occasions il est revenu à la maison ivre de vin. Elle dort dans la cuisine, sur un petit lit derrière le four, et Marc empruntait toujours cette porte. Un soir, il était si saoul et si malade à force de boire qu’elle a dû le nettoyer et le coucher. Il lui a donné une pièce le lendemain matin. Elle n’en a jamais eu autant de toute sa vie.
— Qui étaient ses compagnons de beuverie ? demanda Isaac.
Weitere Kostenlose Bücher