Remède pour un charlatan
baissée, les épaules détendues, en un doux murmure récitez dix fois vos prières. Mettez-vous au lit, et vous dormirez.
— Dites-moi, maître Isaac, est-ce Dieu ou les herbes qui provoqueront mon sommeil ?
— Cela, je ne puis le dire, maître Pons. Je ne suis qu’un médecin. Mais je sais que si vous faites ce que je vous conseille, vous dormirez.
CHAPITRE VI
— C’est un bien étrange monde que celui où nous vivons, Judith, dit son mari lorsque la table du souper fut débarrassée et que le calme fut revenu dans la maison.
— Vraiment ? murmura-t-elle en rapprochant la bougie pour mieux voir son ouvrage.
— Vous vous rappelez cet homme qui avait menacé de dire à tous que j’avais une maîtresse chrétienne ?
— Si je m’en souviens ?
Elle posa sa broderie dans un bruissement indigné.
— Ce fut un geste vil – noircir votre nom pour ne pas avoir à vous payer le demi-sou qu’il vous devait ! Un demi-sou ! Et vous qui l’aviez sauvé d’une mort certaine… Toutes ces visites, sans parler des herbes et des mixtures que vous lui aviez préparées. Et il avait les moyens de vous donner trois fois cette somme, ajouta-t-elle. Raconter que vous étiez un débauché et un panier percé comme Assach Abnelfalir avec sa catin mauresque et tous ses bâtards ! Mais personne ne le dénonce. Je me demande comment son épouse n’en est pas morte de honte.
Elle reprit son ouvrage.
— J’ai été fort heureuse en apprenant sa mort. Il méritait la plus misérable des fins.
— Allons, Judith, on ne doit pas se réjouir de la mort d’un être humain. Habituellement, tout au moins, ajouta-t-il quand des exemples contraires lui vinrent à l’esprit. Aujourd’hui, j’ai été appelé dans la maison de son frère cadet. Il est aussi différent de son aîné que le jour l’est de la nuit. Je crois que c’est un très brave homme.
— C’est difficile à croire, dit Judith. Je suis surprise que vous ayez consenti à le voir.
— La chose intéressante, c’est que lui-même a été formellement dénoncé – pas seulement menacé de dénonciation – d’entretenir une maîtresse mauresque. Ce n’est pas vrai, m’a-t-il affirmé, mais cela lui a coûté beaucoup. Bien entendu, de telles calomnies constituent souvent l’arme de prédilection des méchants.
— Je suis sûre qu’il l’a mérité. C’est une famille détestable.
— Je ne le pense pas, ma mie. Quand son frère est mort, il a travaillé nuit et jour pour créer une affaire florissante à partir du petit commerce de toisons de son frère, et il a gagné assez pour nourrir la veuve et les orphelins, en plus de sa propre famille. Il est prospère à présent, mais sa vie a été difficile. Du moins c’est ce que l’on dit.
— C’est probablement la veuve qui l’a accusé. Pour récupérer tout le bien.
— Je ne le crois pas. La peste noire s’est abattue sur elle et ses deux fils.
— Oh ! Et sait-il ce que son frère vous a fait ? Il a eu le front de vous envoyer chercher ?
— Certainement pas. Et vous ne devez parler de ceci à personne. Je ne vous l’aurais pas dit si vous n’étiez, pour ainsi dire, partie prenante. Je crains que cet épisode ne vous ait fait beaucoup souffrir.
— Nous souperons tard aujourd’hui, Judith, dit Isaac au déjeuner du lendemain. Nous avons un patient à voir en ville, et il est plus pratique pour lui comme pour moi que nous lui rendions visite une fois les affaires du jour achevées.
— Papa, nous ne pouvons pas sortir ce soir, intervint sa fille en sortant brusquement de sa torpeur.
— Non, Isaac, confirma Judith, vous ne pouvez pas. Vous avez oublié ?
— Oublié quoi ?
— Mais les noces de Blanca, papa ! dit Raquel. Elle se marie aujourd’hui, et maître Mordecai donne une grande fête avec des musiciens, des chants et des danses. Tout le monde y sera. Vous devez venir. Comment pourrons-nous y aller si nous sommes en ville auprès d’un patient ?
D’ordinaire si douce, sa voix s’était faite aiguë et insistante.
— J’ai une nouvelle robe de soie.
— Dans ce cas, fit Isaac, nous devrons voir ce patient ce matin, même si cela signifie que Yusuf ne viendra pas, car je serais impardonnable de t’empêcher de montrer ta nouvelle robe de soie.
— Pourquoi Yusuf ne peut-il nous accompagner ? demanda Raquel.
— Je l’envoie chez le tisserand pour qu’il parle avec le garçon, Martin, et la petite
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