Remède pour un charlatan
Ceux-là mêmes dont parlait Martin ?
— Je l’ignore, seigneur. Elle m’a dit qu’il buvait dans une taverne toute proche. Ce doit être chez Rodrigue ou chez Tia Josefa. Je pourrais le savoir ce soir.
— Mais le mariage ! s’écria Raquel.
— Excusez-moi, dit-il d’une voix gênée, mais peut-être y aura-t-il à la noce quelqu’un qui ne souhaite pas me voir. Je préférerais aller chez Rodrigue ou chez Tia Josefa.
— Vraiment ? demanda Raquel.
— Oui.
Le mariage était annoncé depuis plusieurs semaines, et les préparatifs duraient depuis presque aussi longtemps. Le four géant de Mossé avait fonctionné nuit et jour car, en plus de son pain quotidien, il avait dû rôtir les viandes et cuire les pâtisseries de la noce.
La mariée était vêtue de soieries aux couleurs chatoyantes, coupées avec la dernière élégance par les plus habiles couturières de la ville. La solennité de la cérémonie était égayée par la joie sans partage des principaux participants : les commères n’avaient pas tort quand elles disaient que Blanca et son époux s’étaient choisis depuis fort longtemps. Il avait fallu à la jeune femme beaucoup de doigté et de diplomatie pour convaincre Mordecai qu’il avait lui-même décidé que ce jeune homme agréable mais sans fortune ferait un excellent parti pour sa belle – et riche – fille. Le couple était maintenant uni, et il n’y avait pas eu le moindre incident. Quelque deux cents invités se déversèrent dans la salle attenant à la synagogue, car même la maison de Mordecai, aussi spacieuse et confortable fût-elle, ne pouvait en accueillir tant. Chacun s’émerveilla avec politesse devant la magnificence des tables et des plats. Le festin venait de commencer.
Les invités dévorèrent près de cinquante carpes farcies et presque autant de volailles, plus les meilleurs morceaux de six agneaux et une montagne de riz et de légumes divers. Quand les restes furent déposés dans des corbeilles et distribués aux membres moins fortunés de la communauté, le chanteur put entamer son chant nuptial. Il commença par louer la douceur de l’amour, puis devint plus hardi à chaque couplet. La mariée tenta de dissimuler ses rougeurs derrière la manche de son époux, et l’assemblée riait à gorge déployée.
On demanda à chacun de se préparer pour la danse, et Mordecai fit mettre en perce un autre tonnelet de vin. Les jeunes filles formèrent un groupe, les hommes non mariés un autre, et les musiciens attaquèrent un air lent. Mordecai leur adressa un large sourire et leur fit signe d’augmenter la cadence. Le rythme s’accéléra donc, devenant passionné puis frénétique, jusqu’à ce que les danseurs, épuisés et heureux, se mettent à tituber. La musique cessa enfin, les danseurs se rassirent et Mordecai en personne offrit un grand pichet de vin aux musiciens en sueur.
Pendant la danse, les serviteurs avaient apporté le dessert, et chacun se jeta sur les petits gâteaux et les montagnes de fruits. C’était une réception splendide.
Raquel se retrouva à côté de Dalia, la sœur de la mariée.
— Aaron doit te manquer, commença-t-elle d’un air innocent.
— Il manque à tout le monde, dit Dalia en mordant dans une petite pâtisserie. C’est toujours triste de voir quelqu’un partir aussi jeune.
— Aaron et toi, vous n’étiez pas…
Raquel laissa volontairement sa phrase en suspens.
— Moi ? Et Aaron ?
Dalia éclata de rire.
— Je peux trouver mieux qu’Aaron. Et il ne s’intéressait pas plus à moi qu’à ma grand-mère. Je le taquinais sans cesse, mais c’était uniquement parce qu’il était trop sérieux.
— Peut-être était-il timide, dit Raquel. Sa mère est persuadée qu’il était amoureux de toi.
— Eh bien, elle se trompe, affirma Dalia d’une voix assurée. Ce sont des choses qui se remarquent, tu sais, ajouta-t-elle avec un air sophistiqué que ne justifiaient nullement ses seize printemps. Quand un homme s’intéresse à toi, tu le vois à la façon dont il te regarde – et au reste. Ce n’était pas le cas. Et je ne vois pas pourquoi je m’intéresserais à quelqu’un qui ne me désire pas particulièrement, quoi qu’en dise la vieille Esther.
Elle secoua la tête, et son épaisse chevelure noire dans laquelle s’accrochait un voile de soie refléta l’éclat des cent bougies allumées dans cette partie de la salle.
— Était-il amoureux de quelqu’un
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