Remède pour un charlatan
foule arriva.
— En voilà une ! cria une voix mâle. C’est une sorcière ! Une femme de mauvaise vie, et j’ai la preuve que c’est une sorcière.
Elle se retourna, surprise, comprit ce que voulait la foule et partit dans le sens contraire.
— Attrapez-la ! lança une autre voix.
Elle retroussa ses jupes et se mit à courir. Guillema était rapide, mais pas assez. Une main se referma sur sa jupe, s’agrippa à son surcot et la retint un instant. Elle se débarrassa de son vêtement et s’engouffra dans une ruelle comme une biche apeurée. Mais, pour Guillema, ce retard fut fatal. Un gars de la campagne, œil vif et bras vigoureux, en profita pour ramasser une pierre et la lui jeter. Elle l’atteignit à la tête, et Guillema tomba tel un oiseau mort. Qu’elle fût morte ou non, nul ne le savait ou ne s’en préoccupait. Après que la foule l’eut piétinée, elle l’était certainement.
Quelques-unes des épouses et des filles de la ville, avec leurs cousines de la campagne, suivirent alors le mouvement, poussées par une curiosité morbide et envahies par une peur quasi délectable ; le reste, ébahi et terrorisé par les hurlements, fit demi-tour et rentra à la maison. En quelques minutes, les rues et les places de la ville, mais aussi les proches faubourgs ne furent plus peuplés que d’émeutiers. Frustrée, l’odeur du sang aux narines, la foule s’en alla vers le nord, empruntant les rues transversales pour ensuite revenir vers l’artère principale ainsi qu’un fleuve qui contourne une île et se reforme sitôt après.
Quand elle arriva à Sant Feliu, ses meneurs entrevirent une nouvelle proie, une femme dont l’épaisse chevelure brune s’était défaite et dont le voile avait glissé alors que, prise de panique, elle cherchait un refuge. Elle traînait un enfant épuisé sur les marches raides qui conduisaient à la grand-place de Sant Feliu. L’enfant trébucha et tomba, et elle se pencha pour le relever.
— La voilà ! cria quelqu’un. C’est elle, la vraie sorcière ! Catin ! Meurtrière ! Attrapez-la, et son engeance infernale avec elle !
Quelques voix protestèrent, mais la clameur était telle qu’on ne les entendait pas. Le tailleur de pierre aviné qui avait lancé le mouvement avait été oublié par la foule avant même qu’elle trouve Guillema, et il était revenu à sa beuverie en toute inconscience du mal qu’il avait déclenché. Les nouveaux meneurs s’étaient refermés sur la femme essoufflée. Elle recula, tenta de les repousser, mais quelqu’un éclata de rire et lui donna une bourrade. Des bras la saisirent et la firent passer par-dessus la balustrade de pierre. Elle tomba sur les pavés de la place en contrebas.
Quelqu’un cria alors, assez fort pour être entendu de ceux qui se trouvaient près de la balustrade :
— C’était Venguda, la femme de Tomas de Costa.
Il y eut un début d’échauffourée au milieu des marches et un petit homme brun se détacha de la masse. Il se mit à courir non pas en direction du corps brisé de son épouse ni de son enfant qui hurlait de terreur, mais vers la porte nord afin de rentrer au cœur de la ville.
Venguda passait pour une jeune femme discrète et agréable. Après une telle découverte, le groupe perdit un peu de son énergie. Ceux du dernier rang se retirèrent, honteux ou apeurés, et les autres se disséminèrent dans les rues de Sant Feliu. Un homme à la voix puissante prit alors la parole pour dire ce que nombre de ses compagnons pensaient.
— C’est fort bien, Pere, mon ami, de nous dire d’aller pendre les sorcières, mais qui m’indiquera où elles sont ?
— Il a raison, approuva son voisin. Et si la femme de Tomas était une sorcière, on pourrait en dire autant de n’importe laquelle de nos épouses. Je ne crois pas que c’était une sorcière.
Sur ce, les deux hommes abandonnèrent le groupe et revinrent vers la ville.
Pendant ce moment de calme relatif, une porte s’ouvrit au coin de la rue, et une belle femme brune qui tenait par la main un enfant blond s’avança prudemment.
— Je crois qu’ils sont partis, dit-elle à quelqu’un qui se tenait derrière elle.
La porte se referma et elle se hâta de traverser la rue pavée.
Un homme apparut devant elle, qui lui bloqua le chemin.
— C’est la fille du médecin, dit-il. C’est bien elle. J’ai trouvé la fille du médecin !
Et brusquement, ce qu’elle pensait n’être qu’un murmure
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