Remède pour un charlatan
aimez. Soyez prévenus que vos calomnies, vos menaces et vos persécutions d’innocents vous vaudront non seulement la colère de notre roi, mais aussi la colère de Dieu. Et ce ne serait que juste châtiment si vous vous retrouviez, comme le jeune prince, face aux griffes et aux crocs des bêtes sauvages.
« Mais son Père qui est aux cieux, qui pardonne encore et toujours, donna au prince une ultime chance de regagner sa ville natale et de reprendre son bien. C’est peut-être votre dernière chance de mettre un terme à votre comportement mauvais et de conserver les trésors qui nous ont été donnés.
« In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen.
Sur ce, l’évêque de Gérone, les joues empourprées par la colère, quitta la chaire pour l’autel.
La population de la ville prit à cœur l’homélie de l’évêque. Les moins fautifs fouillèrent douloureusement leur conscience, se rappelant les commérages entendus au cours de l’année passée et prenant la décision de ne pas céder à nouveau à la tentation. Les plus fautifs hochèrent la tête, se sentirent vertueux et furent d’accord avec l’évêque pour dire qu’ils étaient entourés de voisins vils aux intentions malignes. Quelques-uns furent troublés dans leur conscience en se souvenant de propos qu’ils avaient tenus. Mais, heureusement pour la paix des âmes, les festivités qui commencèrent le lendemain chassèrent bien vite des pensées aussi dérangeantes.
De presque toutes les maisons sortaient les senteurs des préparatifs de la grande fête du mercredi. Les chaudrons frémissaient et les fours des boulangers étaient chargés de viandes à rôtir. Chacun en ville se préparait à inviter ses amis et ses voisins, qui viendraient les bras chargés de mets délicieux. Pourtant, dans quelques demeures, l’humeur était sombre, et les rires ne fusaient pas. Pons Manet, sa femme et leur fils pleuraient la mort de leur fils et frère, et n’avaient le cœur ni à boire ni à manger ; le mari de la belle femme frappée par la pierre restait assis près d’un foyer éteint et s’interrogeait sur l’énigme de sa mort. Pourquoi ses voisins l’avaient-ils prise pour une sorcière ? Qu’avait-elle fait ? Le tiendraient-ils pour un sorcier ? La peur, plus que le froid qui régnait dans son humble maison, le faisait frissonner et le poussait à se demander s’il valait mieux se jeter du haut de la plus haute tour ou attendre leur venue.
De l’autre côté de la rivière, sur le champ de foire, artisans, amuseurs et vendeurs de toutes sortes de choses – du ruban et de la babiole aux chevaux et au bétail – installaient leurs tréteaux en pestant contre le mauvais temps, l’état du terrain et la pingrerie bien connue de la population. Mais, intérieurement, ils calculaient les profits astronomiques que cette semaine allait leur rapporter.
Dans le quartier juif, la maison d’Isaac le médecin était relativement calme. Ibrahim et Leah avaient emmené les jumeaux assister aux préparatifs de la foire ; Judith et Naomi étaient en cuisine et confectionnaient un dîner capable de les satisfaire tous quand ils rentreraient à la maison. Isaac passait en revue les herbes et les teintures rangées dans son cabinet. En général, il était son propre apothicaire, distillant, pilant et mélangeant ce qui était utile à ses patients. Certains ingrédients venaient toutefois d’outre-mer : ils lui arrivaient de Barcelone, et mieux valait s’occuper de cela avant que les pluies hivernales et le mauvais temps ne ralentissent les navires et n’embourbent les routes.
Isaac prenait chaque article, jugeait de son poids et de son état de fraîcheur, puis Raquel le remettait en place.
— Il ne nous manque que des herbes communes, seigneur, dit Yusuf qui cochait la liste. Nous pourrions en cueillir ce matin, avant que le soleil ne soit trop chaud.
— Excellent, mais tu devras y aller seul, Yusuf. Raquel restera ici avec moi. À ton retour, elle vérifiera ce que tu as ramassé pour s’assurer que tu n’as pas commis d’erreurs.
Cette fois-ci, Raquel ne protesta pas.
Quelques-unes des herbes les plus odorantes et les plus puissantes poussaient sur les collines escarpées du nord de la ville. Selon la tradition, il convenait de les cueillir par une fraîche matinée, après que la rosée eut séché, mais avant que le soleil n’en ait sucé la sève. Il fallait aussi que la lune fût
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