Remède pour un charlatan
entraîné dans cette hasardeuse aventure par son frère aîné. Même aujourd’hui, le rouge lui montait aux joues à ce souvenir, et il s’efforça de le chasser hors de son esprit. Il poussa doucement la grille. Elle s’ouvrit sans un grincement. Un cheval ou une mule s’agitait quelque part, dans l’ombre.
À une certaine distance derrière lui, deux hommes, l’un grand et l’autre petit, marchaient en silence : leurs bottes de cuir souple ne faisaient pas de bruit sur les pavés. Ils ne s’intéressèrent pas à celui qui venait de franchir le portail de la maison de Marieta comme si c’était un habitué des lieux, et suivirent leur chemin jusqu’à ce qu’ils disparaissent au coin de la rue. Alors ils s’arrêtèrent et attendirent, aux aguets. Au bout de quelques instants, ils firent demi-tour et, rasant les murs, revinrent sur leurs pas. Ils poussèrent la grille de la maison de Marieta et entrèrent. Des sabots claquèrent sur le sol et un cheval hennit doucement, puis il se calma, et la cour retrouva son calme.
Yusuf – car le petit homme n’était en réalité qu’un jeune garçon – marcha jusqu’à la porte et l’entrebâilla juste assez pour pouvoir entrer. Au bout du couloir, il distingua la silhouette sombre du lainier. La lumière de sa lanterne dessinait un cercle autour de lui. Isaac suivit son apprenti et referma la porte derrière lui avec beaucoup de délicatesse. Le loquet produisit un bruit infime qui se fondit dans celui des pas de Pons Manet. Yusuf tourna à gauche, tira la tenture de la réserve et y entraîna Isaac. Les pas s’arrêtèrent, et le seul bruit qu’ils entendaient était celui de leurs propres respirations.
— Pourquoi avoir refermé la porte, seigneur ? murmura-t-il.
— Ils auraient pu sentir passer de l’air froid. Maintenant, tais-toi.
Ils attendirent en silence, sans bouger, pendant trois ou quatre longues minutes, avant de percevoir un autre son.
Quelque part, une voix appela :
— Par ici, maître Pons. Nous préparons la salle.
Yusuf écarta doucement la tenture. Tout au bout du long couloir, il vit une cape disparaître dans l’escalier menant à l’étage principal.
— C’est la voix de Guillem, seigneur, dit-il en se haussant sur la pointe des pieds pour parler à l’oreille de son maître. Et Pons monte l’escalier. Je vois la lumière de sa lanterne.
— Alors montons aussi. N’y a-t-il pas un autre escalier ?
— Si, seigneur, juste en face de nous. Mais comment l’avez-vous deviné ?
— Même Marieta a parfois besoin d’un médecin, Yusuf. Tu y vois clair ?
— Non, seigneur, il fait trop sombre.
— Dans ce cas, suis-moi.
Isaac releva le rideau et tâtonna le mur de pierre jusqu’à ce que son pied rencontre la première marche de l’escalier en colimaçon. La lumière de la lanterne de Pons était encore visible à l’extrémité du couloir ; hormis cela, il faisait noir comme dans un four.
À mi-hauteur de l’escalier, ils furent arrêtés par un bruit qui donna la chair de poule à Yusuf. Un bruit sourd, celui d’un lourd objet qui s’abat contre de la chair humaine. Puis quelque chose, en bois ou en métal, se fracassa sur le carrelage. La lumière vacilla et s’éteignit. Isaac posa la main sur l’épaule de son apprenti.
— Y a-t-il de la lumière ? murmura-t-il.
— Non, seigneur, aucune.
— Alors attendons ici, près de la porte. Nous risquerions de nous faire prendre. Asseyons-nous sur les marches.
À peu près à l’heure où Pons Manet quittait sa maison, dans le sud de la ville, pour prendre le chemin de Sant Feliu, un homme vêtu d’une cape noire et d’un grand chapeau qui dissimulait son visage aborda l’officier de garde devant la porte nord.
— Officier, dit-il d’une voix rauque, suivez-moi !
— Et pourquoi devrais-je quitter mon poste pour aller avec vous, mon brave homme ?
— Écoutez, vous…
Il changea de tactique.
— Je suis sur la trace d’une esclave fugitive, reprit-il, impatient. Une Mauresque, une vraie diablesse que ce fils de chienne m’a fait payer une fortune à la foire. À la première occasion, elle s’est enfuie. J’ai ici l’acte de vente, dit-il en tirant de sa manche un papier qu’il brandit sous le nez de l’officier.
L’autre acquiesça. Il faisait trop sombre pour qu’il vît les mots inscrits sur le papier, mais cela importait peu : il n’avait pas appris à lire.
— Je crois savoir où elle se
Weitere Kostenlose Bücher