Remède pour un charlatan
observer Francesc.
— C’est à ce genre de cérémonie que participait mon fils ? demanda Joana, l’épouse de Pons Manet, d’une voix terrible. Est-il mort à cause de fumée d’encens et de danses ?
— Oh non, maîtresse, pas du tout. Maître Guillem avait l’habitude de sortir prêcher aux gens et de récolter de l’argent – c’est ce qu’il faisait avant d’arriver à Sant Feliu –, et votre fils et ses amis ont eu envie d’apprendre auprès de lui. Il les a fait venir une fois aux cérémonies, mais cela les a dégoûtés. Ils s’intéressaient au savoir, pas aux filles de Marieta.
— Vraiment ? fit Jaume, incrédule.
— Votre frère était un jeune homme très sérieux, dit Berenguer. Je ne doute pas qu’il ait été aussi troublé par les tentations de la chair que toute autre personne de son âge, mais son cœur s’accordait avec les choses de l’âme et de l’esprit.
— Les trois jeunes gens étaient prêts à verser une somme importante pour bénéficier des leçons de maître Guillem, reprit Zeynab, c’est pourquoi il leur a arrangé quelque chose de spécial.
— De quoi s’agit-il ? demanda Pons.
— Je ne sais pas au juste. Je ne connais que le rôle que j’avais à tenir.
— Allons, mon enfant, fit Berenguer avec quelque impatience, décris-nous ce que tu as fait et vu. Nous avons encore beaucoup de travail avant la fin de cette soirée.
Elle s’inclina pour s’excuser et se tourna vers la famille Manet.
— Pendant ces cérémonies, il n’y avait que les trois jeunes gens, maître Guillem et Lup, son serviteur. J’étais dissimulée derrière une tenture et je jouais de la flûte. Je pense qu’ils avaient passé quelque temps à étudier avec maître Guillem, mais je n’en suis pas certaine. Il jetait dans les braseros un encens très étrange et, parfois, les jeunes gens voyaient des choses qui n’existaient pas. À un moment, je devais faire la louange des sages des temps anciens, des choses que j’avais apprises et que je chantais derrière le rideau. Ensuite, il voulait que je récite un bref passage du Coran.
— Et l’as-tu fait ? demanda Berenguer.
— Oh non ! Je n’aurais pas su quoi dire, et puis ç’aurait été un grand péché que de réciter des versets sacrés dans un lieu aussi mauvais. À la place, je psalmodiais une recette de cuisine, celle des tripes et de la tête de mouton, que ma mère adoptive m’avait apprise. J’avais très peur, parce que je craignais que les jeunes gens ne s’en rendent compte. Maître Guillem invoquait alors des esprits protecteurs ainsi que l’ange de la connaissance et de l’illumination. Il jetait de la poudre dans le feu et provoquait beaucoup de fumée. Pendant ce temps, Lup allumait la lampe derrière moi, je levais les mains et je faisais semblant d’être l’ange. Je chantais d’autres choses en arabe…
— Quoi donc ? demanda Berenguer, intrigué.
— Comment faire cuire le riz et le pain, Votre Excellence. Je devais ensuite dire d’une voix très puissante : « Cherchez la vérité au fond de vous-mêmes et gardez confiance en ceux qui vous conduisent à moi. Mille démons porteurs de mille morts dans chaque main, de fléaux pour battre, de crochets pour arracher les chairs, de pinces embrasées pour arracher la langue, voilà ce qui attend le menteur et le traître. Le chemin de l’illumination est semé d’embûches, mais, pour celui qui parvient à l’atteindre, la récompense est magnifique. » Lup éteignait la lampe et j’étais libre de partir.
— Répète-moi cela, dit l’évêque, les adjurations que tu leur adressais.
— Oui, Votre Excellence, fit-elle avant de répéter les phrases.
— Est-ce bien exact ?
— Oui, Votre Excellence. J’ai une bonne mémoire.
— Il est clair qu’ils voulaient qu’ils se sentent menacés afin de rester en son pouvoir, dit Berenguer. Mais comment sont-ils morts ?
— Quelque substance vénéneuse leur était administrée, dit Isaac. En l’absence de Zeynab, ajouta-t-il.
— Par la femme qui a rendu visite à Marc, peut-être, intervint Francesc. Qui est-elle ? Le sais-tu, mon enfant ?
— Je crains qu’elle n’en sache rien, répondit Isaac. Je l’ai questionnée attentivement et il semble qu’elle n’avait pas le droit de quitter la maison sans être accompagnée. Peut-être apprendrions-nous la vérité auprès de Marieta.
— Marieta ? s’étonna l’évêque. La vérité et
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