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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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ombre prononcée qui le faisait paraître encore plus trapu.
    — Monsieur Muratti ?
    — Vous vous souvenez de moi ?
    L’hôtelier parut se réjouir. Il avait le comportement servile des gens dont les affaires frisent l’illégalité. Il leur tendit la main avant de se rasseoir. Tron sourit.
    — Que puis-je pour vous, monsieur Muratti ?
    Muratti fit entendre un toussotement nerveux.
    — C’est peut-être moi qui peux vous rendre service, commissaire. Je suis venu à cause de l’article dans la Gazzetta . Le crime dans la gondole. Cet homme est-il déjà… ?
    Tron fit non de la tête.
    — Nous y travaillons.
    — Ah bon. Dans ce cas…
    — Oui ?
    L’hôtelier soupira.
    — À vrai dire, d’habitude, je suis plutôt discret à l’égard de mes clients.
    Le commissaire prit un air compréhensif.
    — C’est normal.
    — Mais dans ce cas…
    Muratti s’interrompit. Son visage se plissa d’inquiétude. Tron se pencha vers lui.
    — Oui ?
    — Il m’a paru nécessaire de vous rendre visite, conclut l’hôtelier.
    Puis il se tut de nouveau. À l’évidence, il faisait partie de ces gens à qui il fallait tirer les vers du nez.
    — Dans quel cas ? demanda le commissaire sans s’énerver.
    — Cet homme s’est présenté chez moi avant-hier. Il n’avait pas de papiers. Je suppose qu’il est autrichien. Du moins a-t-il un accent allemand. Quand la femme de chambre est entrée pour faire le lit, il était en train de nettoyer les manchettes de sa chemise.
    Muratti s’interrompit et adressa au commissaire un regard lourd de sens.
    — D’après elle, on aurait dit des taches de sang.
    Il s’appuya contre le dossier, l’air épuisé, comme s’il avait lui-même frotté le tissu.
    — Une fois qu’il a été sorti, j’ai jeté un coup d’œil dans sa chambre.
    — Et alors ?
    — La gamine avait raison, annonça-t-il. Dans sa valise, j’ai trouvé une chemise aux manchettes couvertes de sang.
    En d’autres termes, il avait fouillé dans les affaires de son client. D’un point de vue juridique, cela s’appelait une effraction. Le calme avec lequel il avouait ces faits intrigua le commissaire.
    — On aurait dit, poursuivit-il, qu’il avait essayé d’effacer les taches.
    — Il s’agit peut-être de vin rouge, suggéra Tron.
    M. Muratti dodelina de la tête en souriant.
    — Croyez-moi, commissaire, je sais distinguer le sang du vin rouge !
    Et après une petite pause, il ajouta :
    — En outre, il y avait l’autre valise.
    — Quelle valise ?
    — Une mallette plate contenant toute une collection de couteaux aiguisés, précisa l’hôtelier. Dans la Gazzetta , j’ai lu que l’assassin avait découpé le foie de la malheureuse.
    Bossi jugea utile d’intervenir.
    — Savez-vous combien de temps cet homme compte rester à Venise ?
    — Il m’a chargé d’appeler une gondole pour l’emmener à la gare à deux heures, répondit Muratti.
    Un coup d’œil sur l’horloge fixée au mur apprit à Tron qu’il était deux heures moins vingt. Il se tourna vers Bossi qui se tourna vers lui. Alors, ils hochèrent la tête presque en même temps. Puis ils bondirent hors de la pièce.
     
    Ignaz Zuckerkandl, sa mallette à échantillons sous le bras, descendit au pied du Rialto. Il paya le gondolier, qui l’avait transporté de l’hôpital Ognissanti jusqu’ici, et lui donna un généreux pourboire. Il se sentait léger, presque joyeux, comme si un lourd fardeau avait glissé de ses épaules. Même la pluie qui s’était mise à tomber quelques minutes plus tôt n’aurait pu gâcher sa bonne humeur.
    Il constata avec surprise que les angoisses puériles qui avaient fait de sa vie un enfer au cours des deux derniers jours s’étaient évanouies d’un seul coup. Devait-il ce revirement au contrat juteux qu’il venait de signer à l’hôpital Ognissanti ? Il n’aurait su le dire. Tout ce qu’il savait, c’est que, depuis l’avant-veille, il avait été en proie à une véritable panique. Cet état d’anxiété, supposait-il, tenait sans doute à la fatigue nerveuse causée par cette affaire . Maintenant, il regrettait presque d’avoir à quitter Venise avant la date prévue. En fin de compte, il n’avait personne à ses trousses ! Comment avait-il pu nourrir une idée aussi absurde ? Les deux agents en uniforme qui venaient à sa rencontre sur le campo Bartolomeo, par exemple, lui adressaient-ils un regard méfiant ? Bien sûr que non !

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