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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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stupidité rare sur un écrivain vieillissant qui, de séjour à Venise, s’amourachait d’une jeune Polonaise avant de mourir du choléra, avait représenté aux yeux de Spaur un grand succès. Tron se demandait donc si…
    — Commissaire ?
    Il releva la tête avec effroi et, par réflexe, tendit la main vers la meringue qu’il avait à peine entamée. C’était une pâtisserie succulente, nappée d’une épaisse couche de chocolat, elle-même couronnée par une couche de mousse au chocolat *. Bossi avait encore ajouté une phrase dans laquelle, l’esprit toujours occupé par l’ Emporio , il n’avait compris que les mots église , rasoir et autel .
    Son adjoint donnait une impression de grand trouble. Il avait le visage écarlate et des gouttes de sueur perlaient sur son front. Devrait-il peut-être lui recommander une meringue ? Avec de la chantilly en supplément ? Non, mieux valait éviter. Bossi ne semblait pas d’humeur à apprécier des gâteaux. Tron afficha un sourire apaisant.
    — Que se passe-t-il, inspecteur ?
    Ce n’était pas qu’il tînt absolument à le savoir. Pour tout dire, il aurait préféré terminer son petit déjeuner en toute tranquillité, se rendre au commissariat sur le coup de midi et conclure l’interrogatoire de M. Zuckerkandl par un passage aux aveux. Mais Bossi avait déjà pris place en face de lui. Leurs voisins de table leur jetaient des regards curieux.
    — Il a de nouveau frappé, annonça-t-il à voix basse.
    Tron ne comprit pas. La seule personne dont l’inspecteur pouvait vouloir parler était sous les verrous depuis la veille.
    — Qui a de nouveau frappé ?
    — Le fou ! murmura son adjoint. Dans une église, cette fois. Au pied de l’autel.
    Tron reposa sur son assiette la fourchette à gâteau avec laquelle il s’apprêtait à découper le reste de meringue. Tout à coup, la mousse au chocolat * lui parut noire et écœurante. On aurait dit du sang caillé. Il s’éclaircit la gorge.
    — Dans quelle église ?
    — San Giovanni in Bragora. Le curé vient de passer au commissariat central. Il a trouvé la femme devant l’autel. Avec un rasoir posé à côté d’elle.
    Bossi inspira profondément avant de poursuivre :
    — Je crois que Zuckerkandl est innocent, commissaire, et que l’homme que nous recherchons est toujours en liberté.
    Toujours en liberté.
    — Dans ces conditions, reprit-il avant de s’interrompre aussitôt, il se pourrait que…
    Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner la fin de sa phrase. Tron hocha la tête.
    — Il y a une semaine, Stumm von Bordwehr a pris le train de Vérone dans la nuit de dimanche à lundi. Le neveu de la princesse, M. Sorelli, l’a vu. Le colonel voyageait en civil.
    Tout en parlant, Tron ne put s’empêcher de penser à son entretien imminent avec Spaur.
    — Nous en sommes à quatre morts, dit-il d’un ton las.
    Son subalterne secoua la tête.
    — Non, commissaire, vous faites erreur.
    — Un premier cadavre dans la gondole, se défendit Tron. Un deuxième sur les Zattere, un troisième à la pension Seguso . Et un quatrième dans l’église.
    Il observa l’inspecteur d’un air perplexe.
    — Où est l’erreur ?
    — La dernière vit encore.
    Le commissaire se redressa d’un mouvement brusque.
    — Elle vit encore ?
    — Ses blessures sont moins graves qu’il n’y paraissait au premier abord, expliqua Bossi.
    — Qui dit cela ?
    — Le médecin prévenu par le curé.
    L’inspecteur réfléchit un bref instant avant d’énumérer les blessures.
    — Des ecchymoses au cou, le nez cassé, une plaie ouverte au front. Sinon rien.
    — Est-elle consciente ?
    — Le curé prétend qu’elle peut parler.
    Tron se leva d’un bond.
    — La gondole attend sur le môle, ajouta Bossi.
     
    À l’évidence, le père Jérôme les avait aperçus par la fenêtre, car la porte du presbytère s’ouvrit avant qu’ils aient le temps de sonner. Tron découvrit un homme vêtu d’une soutane, une croix dorée au cou, qui lui arrivait à peine aux épaules. Il lui donnait dans les cinquante-cinq ans. Son visage imberbe paraissait d’une clarté opaline, il avait des yeux marron proéminents et le bord des paupières rougi. Il lui tendit une main d’une blancheur frappante et serra la sienne d’un geste indolent. Son pince-nez lui donnait l’air d’un précepteur déguisé en curé. À ses pieds, un chat brunâtre frottait son pelage contre la

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