Requiem sous le Rialto
femme sur la gondole ?
— Du moins, nous le supposons, répondit Tron.
— J’ai lu l’article dans la Gazzetta , déclara le curé d’un air outré.
— Avant-hier, cet homme a également tué une femme dans un hôtel.
— Et lui a-t-il découpé le foie, à elle aussi ?
Le commissaire hocha la tête. Soudain, il songea au Maggiotto représentant le sacrifice d’Isaac par Abraham.
— Je me demande, dit-t-il avec lenteur, si nous n’avons pas affaire à une sorte de sacrifice rituel. Peut-être l’homme n’a-t-il pas voulu tuer cette femme au pied de l’autel par hasard.
Le père Jérôme réfléchit un instant.
— C’est possible. Sauf que ce n’est pas le geste de tuer qui l’intéressait.
— Quoi d’autre ?
Le curé fixa son vis-à-vis d’un air triomphant.
— Il voulait tirer des informations de l’organe.
Tron eut besoin d’un moment pour comprendre le sens de ces paroles.
— Vous pensez à un haruspice ? Qui lirait l’avenir dans les entrailles de ses victimes ?
Le curé l’approuva, l’air fier de lui.
— Cet homme pourrait s’imaginer que des augures pris dans un lieu sacré permettent des prédictions particulièrement exactes. En tout cas, cette hypothèse expliquerait pourquoi il découpe le foie de ses victimes.
— Une autre hypothèse, répliqua le commissaire, est que cet homme est tout bonnement fou.
À en juger par sa mine, le prêtre tenait pourtant cette explication pour trop simpliste.
— Elle s’appelle Maria Maggiotto, dit-il en se levant avec un sourire pincé, mais elle ne connaît pas le peintre. Venez, commissaire, je vais vous la présenter.
1 - « Guépard ». ( N.d.T. )
28
— Étrange, dit Tron lorsqu’ils traversèrent le campo della Bragora dans le sens inverse, une bonne heure plus tard.
Le ciel était pâle et maladif, il s’était mis à bruiner. Bossi ouvrit le parapluie pour protéger son uniforme repassé de frais.
— Quoi donc, commissaire ?
— Le fait que notre homme ne portait pas de loup, expliqua Tron. Et que Mlle Maggiotto se soit si bien remise de son aventure.
Pour une femme qui n’avait échappé à la mort que fortuitement – ou plutôt, grâce au miaulement d’un chat –, elle produisait en effet une excellente impression. Même les ecchymoses à son cou et la plaie ouverte à son front semblaient assez bénignes. Le nez que l’inspecteur avait dit cassé ne souffrait en réalité que d’une égratignure.
Ils s’étaient entretenus un long moment avec la jeune femme pendant que celle-ci, calée dans des oreillers, dégustait un bouillon de poule avec un plaisir visible. Il était manifeste qu’elle appréciait beaucoup son séjour au presbytère, le lit confortable et les soins prodigués par le curé. Elle paraissait d’ailleurs déjà sur un pied d’intimité avec lui et avait annoncé vouloir décrocher après les événements de la nuit précédente. Mais, pensa Tron, peut-être toutes les jeunes femmes dans sa situation faisaient-elles la même promesse.
— Qu’il n’ait pas été masqué, reprit-il, autorise quelques déductions intéressantes.
— Lesquelles ?
— Tout d’abord que, hier, il a improvisé. Sans doute était-il sorti sans but précis. Il avait seulement envie de faire un tour sur la place Saint-Marc.
— À ce moment-là, enchaîna Bossi, Mlle Maggiotto lui adresse la parole.
Le commissaire renchérit :
— Il aperçoit des cheveux blonds et répond comme un chien à un ordre de son maître. Ou, tout simplement, comme certaines personnes qui réagissent par automatisme à un mot précis.
— Par automatisme ?
L’inspecteur paraissait troublé.
— Ga-ri-bal-di, scanda son chef d’une voix lente.
Aussitôt, une secousse traversa le corps de Bossi, comme s’il avait touché une pile galvanique. Il se cambra tandis qu’une lueur brillait dans ses yeux. On aurait dit qu’il avait grandi de plusieurs centimètres.
— Vous voyez ce que je veux dire maintenant ? demanda le commissaire en réprimant un rire. Des cheveux blonds exercent sur lui un charme irrésistible. Il décide de ne pas laisser passer l’occasion. Malgré tout, il essaie de garder le visage dans l’ombre et murmure, par réflexe.
— Mais la clé ? répliqua Bossi. Comment s’est-il procuré la clé ? L’avait-il sur lui par hasard ?
Tron haussa les épaules.
— Bonne question. Je n’en sais rien.
— Que pensez-vous de la théorie du père
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