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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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tremblante sur le mur du clocher. On aurait dit un décor de théâtre, pensa-t-il. De nouveau, la conviction d’être ici au bon endroit s’empara de lui. Tout semblait permis dans cette ville, tout finissait par s’y arranger.
    Quoique à quelques pas de la jeune femme encore, il sentait déjà son parfum à la lavande qui se mêlait, dans l’air humide, à l’odeur du charbon de bois. Cette combinaison lui évoquait un vague souvenir. Tout à coup, une scène lui revint à l’esprit, si claire et si distincte qu’il en eut le souffle coupé.
    Il s’agissait de sa première opération , entreprise à Vienne, une dizaine d’années plus tôt. C’était, là aussi, une nuit d’hiver assez froide, et le parfum à la lavande de la femme se mêlait comme ici à une odeur de charbon de bois. Était-ce lui qui l’avait abordée, ou l’inverse ? Il ne savait plus. L’hôtel de passe dans lequel ils s’étaient rendus, une maison à la façade écaillée et aux escaliers grinçants, se trouvait non loin de la Michaelerplatz. La jeune femme s’était déshabillée, avec des gestes professionnels, expérimentés, et lui avait adressé un sourire non moins expérimenté. Tout était-il parti de ce sourire de routine ?
    Elle s’était couchée sur le dos et il avait commencé à caresser son corps avec lenteur, son ventre, sa poitrine, ses épaules. Ce faisant, il avait ressenti une certaine excitation, mais pas l’excitation qu’un homme éprouve en général quand il touche une femme. C’était autre chose, une bête sauvage qui l’effrayait, du moins à l’époque. Quand ses mains eurent atteint son cou, il avait serré, observant son visage qui était d’abord devenu rouge, puis bleu, tandis que ses yeux grossissaient, comme prêts à sortir de leurs orbites.
    Une fois la femme morte, il était resté de longues minutes à la contempler, conscient de ne pas en avoir terminé, mais ignorant encore ce qui devait suivre. Ses pensées tournaient en rond sans relâche. Son esprit ne contenait plus alors que des ombres, noir sur noir. Tout à coup, comme en transe, il avait sorti de sa poche l’étui qui contenait son rasoir et effleuré le ventre de sa victime de la pointe de sa lame, ignorant toujours ce qu’il s’apprêtait à faire. Il avait vu l’entaille, à peine plus qu’une égratignure, se remplir peu à peu de sang rouge foncé. Ce spectacle l’avait fasciné à tel point qu’il avait fait une deuxième entaille, un peu plus profonde cette fois. À la troisième, il avait su soudain ce qu’il voulait.
    Pendant qu’il procédait à l’ opération , il avait éprouvé une sensation de puissance inouïe, comme si le Danube en crue se déversait dans sa tête. À la jouissance que cette sensation lui procurait, il avait aussitôt compris qu’il y aurait une deuxième fois. Puis une troisième.
    Bien sûr, il s’était imaginé qu’un sentiment de culpabilité, des cauchemars atroces le priveraient de sommeil nuit après nuit. Or de façon étonnante, c’était l’inverse qui s’était produit. Le lendemain, il s’était fait l’effet d’un nouveau-né. Des détails auxquels il n’avait jamais prêté attention jusque-là – un coucher de soleil, la vue de passants pressés, la lumière des becs de gaz – s’imprégnaient désormais dans son cerveau comme une série de camées brillants, d’images aussi nettes que des galvanotypes. Il avait perçu le goût de la vie comme une gorgée de vin bue au goulot.
    Malgré tout, cinq ans s’étaient écoulés avant qu’il entreprenne l’ opération suivante, cette fois à Trieste, mais là aussi au cours d’une froide nuit d’hiver. Deux ans plus tard, il avait recommencé, à Vienne, toujours près de la Michaelerplatz, sauf que ses incisions étaient devenues précises, rigoureuses. Sa technique s’était déjà beaucoup améliorée.
    Il avait cependant marqué une assez longue pause, jusqu’au jour où il avait rencontré cette femme dans le train de Vérone et qu’il avait, hélas, été obligé d’agir dans l’urgence. Non, pas hélas , car il avait beaucoup apprécié ce moment. Il avait ainsi découvert quel charme il y avait à pratiquer l’opération ailleurs que dans un hôtel de passe miteux. Ensuite, il n’avait pas été surpris que tout s’enchaîne de lui-même. Cette ville favorisait l’inspiration, une atmosphère extraordinairement créative stimulait l’artiste en lui.
    — Monsieur ?
    Il ouvrit

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