Requiem sous le Rialto
grave. Sur-le-champ.
1 - Échine de bœuf cuite au court-bouillon, spécialité viennoise. ( N.d.T. )
2 - Boulettes à base de pain, de pommes de terre, d’oignons, d’ail et de ciboulette, spécialité du Tyrol. ( N.d.T. )
34
Tandis qu’ils gravissaient les marches conduisant au bureau de leur supérieur, Tron se demanda dans quelle disposition d’esprit ils allaient trouver le commandant de police. Spaur avait-il appris la mauvaise nouvelle en présence de sa femme ou seulement à son arrivée au commissariat central ? Dans le premier cas, il aurait derrière lui une conversation houleuse et serait par conséquent d’une humeur exécrable. Tron imaginait très bien la réaction de la baronne. Après ce nouveau crime, Spaur n’avait plus aucune chance d’être invité à la Hofburg, un coup dur pour son épouse. Par ailleurs, cela signifiait que le baron devrait la satisfaire par un autre moyen, c’est-à-dire dépenser encore plus que d’ordinaire en bijoux et en vêtements.
Cela étant, il aurait été injuste d’affirmer que l’ancienne soubrette du théâtre Malibran avait tendu un traquenard au commandant de police. Tron l’avait longtemps cru, mais il avait dû reconnaître qu’il s’était trompé. En vérité, c’était Spaur qui avait imploré Mlle Violetta sans relâche de l’épouser. La jeune femme, de son côté, avait hésité à se marier avec un homme de trente-cinq ans son aîné. C’était juste parce qu’il se complaisait dans son rôle de célibataire irrésistible que l’Autrichien avait voulu persuader tout le monde, y compris son subalterne, qu’elle lui avait forcé la main.
La baronne était une jeune femme de vingt-cinq ans, mince, brune, aux yeux de braise. La première fois qu’il l’avait vue, le commissaire avait été favorablement surpris par son naturel. Et selon lui, le fait qu’elle n’eût rien changé à son comportement depuis qu’elle s’était élevée au rang de baronne parlait de manière indiscutable en sa faveur. N’était-il pas compréhensible qu’elle souhaitât se voir reconnue dans le monde auquel elle venait d’accéder par suite de son mariage ? Et qu’elle accordât pour cette raison le plus grand prix à une invitation à la cour ? Si elle dépensait de telles sommes en bijoux et en toilettes, pensa-t-il encore, c’était vraisemblablement aussi parce que le baron lui avait dépeint l’état de ses finances sous un jour un peu trop favorable.
Sans le vouloir, Tron songea au roi Louis de Bavière, pas le second, tout juste arrivé au pouvoir, mais le premier, qui avait vécu une histoire assez comparable. Quel âge pouvait-il avoir quand il avait aperçu pour la première fois la prétendue danseuse espagnole Lola Montez, à l’automne 1846 ? Dans les soixante ans. Ce qui faisait également une différence de trente-cinq ans, à supposer que la jeune femme en eût alors vingt-cinq. La belle Andalouse, en réalité une Irlandaise, avait à peine mis deux ans à ruiner son amant. À la fin, le roi avait été obligé d’abdiquer et Lola de fuir Munich. Spaur connaissait-il l’histoire tragique de Louis et Lola ? Oui, sûrement. À l’époque, toute l’Europe avait suivi avec passion le scandale à la cour bavaroise.
— Ce meurtre, décréta Spaur dès que Tron et Bossi eurent pris place en face de lui, ne nous regarde pas. Quand un officier de Sa Majesté découvre un cadavre sur un terrain militaire, la garde civile n’est pas concernée. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer à la baronne.
Le commandant de police se fourra une praline dans la bouche, mais d’un geste si lent qu’on aurait dit que cette friandise pesait au moins un demi-quintal. De toute évidence, son épouse ne s’était pas laissé convaincre par cette vision des choses. Le commissaire s’inclina.
— Et quelle a été sa réaction ?
— Elle a répliqué qu’on ne pouvait guère qualifier le campanile de terrain militaire et que, par ailleurs, il s’agissait à n’en pas douter de l’individu que nous recherchons.
— Vous n’avez donc pas l’intention de confier l’affaire à la police militaire ?
Spaur secoua la tête.
— La baronne ne fait aucun cas de cette idée. Au contraire, ajouta-t-il, elle voudrait que nous passions à l’attaque.
Tron n’avait pas l’impression que le commandant de police se pliât avec grand enthousiasme au souhait de son épouse.
— Que nous passions à l’attaque contre
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