Requiem sous le Rialto
qui ?
— D’une part contre la police militaire, d’autre part contre l’assassin.
— Et comment ?
Spaur écarta la cafetière pour jeter un coup d’œil au portrait de sa femme posé sur le bureau, dans un cadre argenté.
— La baronne suggère de lui tendre un piège.
— Un piège ? s’exclama Tron en haussant les sourcils.
Son supérieur le dévisagea comme s’il avait affaire à une recrue un peu lente.
— Un piège est un mécanisme servant à attraper ou à tuer des proies, expliqua-t-il. À l’aide d’une amorce qui les attire.
Comme Tron gardait le silence, faute de savoir que répondre, Bossi toussota avec respect.
— Son Excellence nous conseille de recourir à un appât ? s’enquit-il.
Il avait l’habitude de s’adresser à Spaur à la troisième personne, ce que le commandant de police semblait apprécier et ce qui, chaque fois, amusait Tron. Leur supérieur hiérarchique adressa un regard bienveillant au jeune homme.
— Vous m’avez tout à fait compris, inspecteur. La baronne a employé le même mot que vous : un appât .
Il but une gorgée de café avant de poursuivre :
— Quel était le point commun à toutes les victimes ?
Bossi réfléchit un instant, puis il dit :
— Elles étaient blondes aux yeux verts, Excellence. Mais, ajouta-t-il, je nous vois mal recourir aux services d’une dame pour cette mission.
— La baronne estime qu’il n’est pas nécessaire que l’ appât soit de sexe féminin.
Cette fois, l’inspecteur parut troublé.
— Une blonde aux yeux verts qui ne soit pas de sexe féminin ?
Alors le commandant sourit – d’une manière qui ne plut pas du tout à Tron.
— Ce qu’il nous faut, expliqua Spaur, c’est une personne jeune, blonde, aux yeux verts et aux nerfs solides.
Bossi se redressa sur sa chaise dans une attitude soumise.
— Son Excellence pense-t-elle à quelqu’un en particulier ?
Le sourire mauvais sur le visage du commandant de police se renforça.
— Vous connaissez les critères, inspecteur : cheveux blonds, yeux verts, silhouette plutôt fine, traits agréables et voix pas trop râpeuse. Si cette personne savait en plus manier une arme, ce serait encore mieux.
Spaur se pencha au-dessus de son bureau et fixa le jeune homme.
— De quelle couleur sont vos yeux, inspecteur ?
De nouveau, Bossi parut troublé.
— Verts, Excellence.
Le baron hocha la tête d’un air satisfait.
— Eh bien, c’est parfait !
Tout à coup, le jeune homme blêmit.
— Son Excellence me demande de…
Spaur lui coupa la parole d’un geste de la main.
— Chez Riccardi, vous trouverez tout ce qu’il vous faut.
Bossi ravala sa salive.
— Son Excellence veut parler du costumier dans la Frezzeria 1 ?
— Oui, il a des robes de toutes les tailles, répondit le commandant sur un ton glacial. Trouvez une tenue adéquate et demandez à être servi par M. Riccardi en personne. Dites-lui qu’il s’agit d’une enquête et qu’il doit adresser la facture au commissariat central.
— Vous croyez que vous y arriverez, inspecteur ?
À voir Bossi, le dos collé au mur devant le bureau de Spaur, on aurait pu croire qu’un voleur masqué le menaçait de son poignard. Il soupira.
— Le commandant est capable d’envoyer le sergent Kranzler chez Riccardi pour vérifier que j’y suis bien allé. Il était tout ce qu’il y a de plus sérieux.
— Dans ce cas, achetez un déguisement et rentrez chez vous.
— À la maison ? Chez ma mère ? Vêtu d’une robe ?
Le jeune homme secoua le menton d’un air scandalisé.
Tron avait oublié que son adjoint, célibataire, habitait toujours chez sa mère. La veuve dorlotait son fiston, mais, en même temps, elle le tenait sous bonne garde. Celui-ci leva vers lui un regard indécis.
— Que feriez-vous à ma place, commissaire ?
Bonne question. Tron doutait que, dans une robe, il fît bonne figure. Mais le physique juvénile de Bossi changeait tout.
— Si j’étais vous, répondit-il, je penserais à ma carrière. Je me procurerais un costume chez Riccardi et j’irais faire un tour sur la place Saint-Marc. Vous pourriez même boire un café au Florian .
— Comment ! s’indigna Bossi. Entrer dans un café sans escorte ?
Tron ne put s’empêcher de sourire. Bossi, fou de progrès technique, était en même temps un fervent défenseur des conventions. Pour lui, une femme respectable n’allait pas boire un café au Florian
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