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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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costumes à grands carreaux qui avaient eu le toupet de lui barrer la route devant la Porta della Carta et d’agiter leurs portefeuilles. Quand il les eut repoussés d’un air outré, les deux malotrus avaient marmonné quelque chose entre leurs dents et haussé les épaules. Bien qu’il ne comprît pas l’anglais, il avait soupçonné des insultes vulgaires et avait failli les frapper avec la pochette en cuir que M. Riccardi l’avait forcé à acheter à la dernière minute.
    Pour finir, il était entré au Rudolfo du fait que le commissaire l’avait prié d’exécuter au moins un tour d’honneur dans un des établissements connus comme lieux de rendez-vous. De plus, il rechignait à quitter aussi vite son costume de femme. Mais cela, il s’abstiendrait de le raconter à son supérieur le lendemain. De même qu’il garderait pour lui les pensées féminines qui lui avaient traversé la tête au moment où il était entré : sa coiffure était-elle en place ? Son fard et son rouge à lèvres n’avaient-ils pas souffert de l’humidité nocturne ? Sa pochette en cuir ne lui donnait-elle pas un air de grand-mère ?
    À vrai dire, l’espoir qu’il avait nourri de voir les hommes tomber comme des mouches ne s’était pas réalisé. D’un côté, cet échec l’avait vexé. De l’autre, il lui avait offert la possibilité de gagner le comptoir sans encombre, puis, une fois au but, de jeter un regard tranquille à la ronde, une coupe de champagne à la main pour donner le change. Quand il avait passé commande, il avait réussi sans peine à hisser d’une quarte sa voix déjà naturellement aiguë. La demoiselle derrière le comptoir l’avait en tout cas servi sans sourciller.
    L’emplacement se révélait idéal. Il lui permettait de s’admirer dans la glace et, en même temps, de garder un œil sur la majeure partie de l’établissement, c’est-à-dire les tables encore assez vides à cette heure, les garçons malgré tout pressés, les couples tournant sur la piste de danse et l’orchestre de chambre juché sur son estrade. Le peu d’intérêt que lui portaient les messieurs de l’assemblée commençait à l’agacer. Un appât qui n’appâtait personne était le comble du ridicule. Depuis quelques minutes pourtant, un monsieur rasé de près, debout près de l’estrade, tournait la tête dans sa direction. Il avait du mal à dire s’il l’observait, car un loup rouge l’empêchait de distinguer ses yeux.
    Lorsque la valse s’acheva et que des danseurs s’approchèrent du comptoir, il décida de leur céder la place, sans lâcher sa coupe. L’homme au loup rouge, un individu insignifiant vêtu d’une redingote sombre, n’avait pas bougé. Soudain, il eut la certitude qu’il l’examinait. Devait-il lui laisser entendre qu’il serait ravi de bavarder avec lui ? Ainsi, il ne serait pas obligé d’inventer une conversation quand il ferait son rapport au commissaire le lendemain matin et cela prouverait son zèle. « Je me suis laissé aborder, commissaire, car, pendant un instant, j’ai cru pour de bon tenir notre homme. Vous prétendez sans cesse que le hasard provoque les circonstances les plus invraisemblables. »
    Bossi se retourna, hocha à peine la tête et leva sa coupe en guise de salut. Alors, le loup rouge s’inclina de manière vieillotte, leva sa coupe à son tour et s’approcha d’un pas un peu raide. Une fois près de lui, il esquissa un sourire timide et poussa soudain un hurlement étouffé. Bizarrement, ce bruit ne semblait pas sortir de sa bouche, mais de ses entrailles, comme s’il était ventriloque. Cela ne faisait aucun doute : cet homme, de toute évidence novice en matière d’amour vénal, était au plus haut point nerveux.
    Bossi rejeta la nuque en arrière avec un sourire espiègle, puis avança les lèvres – un geste qu’il supposait extrêmement féminin –, cligna ses cils artificiels et dit :
    — Bonsoir, chéri.

37
    Que répondre à une blonde qui entame la conversation par « Bonsoir, chéri » avec une voix anormalement grave ? Il se tut et inclina de nouveau le buste tandis que la bête au fond de lui continuait de hurler. Il restait juste à espérer qu’on n’entende pas ses cris à l’extérieur et qu’elle se calme bientôt.
    Pour tout dire, l’olibrius en face de lui était à mourir de rire. De près, on comprenait sur-le-champ de quoi il retournait. Sa perruque mal fixée avait glissé, les coutures de ses gants

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