Retour à l'Ouest
peine de mort est largement appliquée aux conspirateurs ou, plus
exactement, aux personnes accusées de conspirations, – ce qui est fort
différent –, aux personnes accusées de trahison, d’espionnage, de sabotage ;
à celles qui tentent de franchir la frontière sans passeport ; aux déserteurs ;
aux dilapidateurs des fonds publics ; aux escrocs, aux voleurs et même aux
auteurs de menus larcins s’ils ont attenté à la propriété collective. Remarquons,
à ce propos que, depuis le XVIII e siècle, les pays civilisés avaient
renoncé à l’appliquer dans le cas d’attentat à la propriété. Remarquons que, nulle
part ailleurs, elle n’est applicable aux enfants.
Il faudrait remonter le cours des siècles pour retrouver le
châtiment collectif, infligé aux familles entières à la suite de la faute d’un
seul. Une loi de 1934 ordonne que les familles des condamnés pour haute
trahison, désertion ou fuite à l’étranger, passage illégal de la frontière, seront,
même si elles ont tout ignoré des intentions du coupable, déportées pour cinq
ans dans des régions éloignées.
Un dernier trait : la non délation est punie comme un
crime. La femme, le fils, le frère, le père d’un coupable sont tenus de le
dénoncer sous peine d’encourir les rigueurs de la loi.
Tels sont les faits. Ils révèlent, une fois de plus, la
profondeur et la gravité de la crise que traverse le régime soviétique. Ils
permettent aussi de mesurer l’ampleur de la rénovation du droit pénal tentée d’abord
par la révolution russe. Quelle que puisse être la durée de la période de
réaction en cours, il y a là un acquis historique qui ne saurait être à jamais
perdu.
Joaquín Maurín *
23-24 octobre 1937
… Je me souviens d’un grand jeune homme, osseux, carré d’épaules,
au beau visage exprimant une énergie avenante et sévère. Je le connus en 1921, en
pleine révolution russe, dans les capitales de notre Commune en danger. Il
franchissait pour y venir des frontières encore hérissées de barbelés, voyageait
avec des passeports de haute-fantaisie, risquait la prison au départ, en route
et au retour. C’était un instituteur catalan qui, tout en enseignant à Lérida, y
dirigeait une feuille révolutionnaire. D’esprit ouvert, affamé d’idées claires,
passionné pour un socialisme agissant, il entendait fonder dans son pays un
parti marxiste. Nous étions aux débuts du communisme international. Celui d’entre
nous qui, pour rechercher dans l’invraisemblable la plus mauvaise plaisanterie,
nous eût annoncé, dans une quinzaine d’années, en terre soviétique, des
exécutions sans nombre ni cesse sous l’égide d’un Chef tout puissant, eût passé
pour un fou dangereux. Je connus Joaquín Maurín, à côté d’Andrès Nin, pareils
tous deux par le sérieux, – je dirais même la gravité, – de l’enthousiasme. Ils
arrivaient d’Espagne, mandatés par la CNT. Joaquin repartit et la prison nous
le prit, naturellement. Le hasard épargna sa vie ; car en ces années, les
policiers du roi Alphonse avaient à leur solde un « syndicat libre »
de tueurs assurés de l’impunité. Joaquín passa quatre ans, sous la dictature de
Primo de Rivera, à la citadelle de Montjuich. Non sans tenter une évasion qui
lui coûta une fracture de la jambe. Raconter sa vie ? Sa vie studieuse
derrière les barreaux, sa vie incertaine de militant entre les mains de l’ennemi,
ses arrestations, ses voyages, ses recommencements, ses combats intérieurs, l’amertume
grandissant en lui devant la corruption bureaucratique du communisme, l’essor
enfin de son activité quand les eaux printanières rompent la digue en 1931 et
que commence la révolution espagnole ? Raconter sa vie, mais cela ferait
un livre tout simple et semé pourtant de pages étonnantes, de pages épiques. Il
finit par rompre avec l’Internationale communiste et fonder avec Andrès Nin, expulsé
d’URSS, le premier parti ouvrier marxiste qui ait réussi à acquérir une
influence réelle sur les ouvriers catalans attachés à la tradition du
syndicalisme libertaire, – le Parti Ouvrier d’Unité Marxiste [165] . Député du
prolétariat de Barcelone aux Cortès, il y dénonçait dans les premiers jours de
juillet 1936, dix jours avant la sédition des généraux, le complot permanent du
haut commandement fasciste. Il nommait Franco, Goded, Sanjurio, auxquels un
gouvernement timoré, dominé par les influences
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