Retour à l'Ouest
CNT d’Espagne surent se joindre à nos protestations, en
exigeant sur un ton fraternel mais très ferme que le scandale de sa captivité
prît fin. Il revint à l’usine. Deux années de dure prison ne l’avaient point
aigri. Il gardait, modeste participant à l’œuvre soviétique, une réserve d’enthousiasme
raisonné sur laquelle les tribulations personnelles n’avaient pas de prise. Il
gardait aussi toute sa liberté d’esprit.
Nous qui le connaissons et l’aimons – car nous sommes
nombreux –, nous tremblions pour lui, depuis des mois. Nous savions qu’il
vivait péniblement, d’un médiocre salaire d’ouvrier qualifié, dans la maison
vide d’un de ses amis déportés. Et voici que la mauvaise nouvelle nous arrive :
Ghezzi a disparu, arrêté à Moscou, il y a quelques semaines. Nul ne sait
naturellement ni quand ni pourquoi. Est-il, du reste, besoin d’un pourquoi, aujourd’hui
que toute la génération dont il est, lui aussi, bien qu’étranger, est proscrite ?
Cette fois, n’en doutons point, il ne s’agit pas seulement de sa liberté, il s’agit
de sa vie.
Il y a le communiste Rákosi dans une
prison hongroise. Il y a le communiste Thälmann dans
une prison allemande. Il y a le républicain Carlos Prestes dans une prison brésilienne.
Il y a, en Russie, Eva Broïdo , vieille
militante socialiste, déportée depuis huit ans dans le bled sibérien ; et Marie Ioffé , veuve du grand ambassadeur soviétique, déportée
ou emprisonnée depuis huit ans… Il y a… Ils sont trop. Il y a, désormais, l’ouvrier
syndicaliste Francesco Ghezzi, en péril de mort parce qu’il a derrière lui une
belle vie toute employée au service de la classe ouvrière en Italie, en Suisse,
en Allemagne, en Russie. Nous ne pouvons que peu de chose pour le salut de tous
ces vaillants : que du moins leurs noms et leur exemple nous soient sans
cesse présents à l’esprit. Car nous vivons aussi pour la justice.
Les origines du fascisme
22-23 janvier 1938
Quand les peuples auront la mémoire moins courte, l’histoire
ne se répétera probablement plus d’une façon aussi désolante. Il suffirait en
effet de la connaître sur quelques points pour être prémuni contre certains
mauvais tours. Un auteur, qui a sans doute des raisons fort valables de s’effacer
dans l’anonymat, vient de publier, à Paris, une
Histoire du fascisme italien
, extrêmement édifiante à ces
égards [189] .
Nous y voyons le fascisme naître dans la confusion sociale du lendemain de la
guerre, alors que tout présage au socialisme une prompte victoire. En 1920, la
CGT comptera 2 150 000 adhérents, le parti socialiste en aura 200 000,
avec 156 mandats à la Chambre, représentant 1 840 000 suffrages. Le
quotidien socialiste l’
Avanti
!
atteindra un tirage de 300 000
exemplaires [190] .
Et ce ne sont pas là les seules forces révolutionnaires : les
syndicalistes et les anarchistes ont aussi, jusque dans les campagnes, une
large influence. Le parti populaire (catholique), fondé par don Sturzo [191] , rassemble dans
ses syndicats chrétiens plus d’un million de travailleurs dont beaucoup sympathisent
avec les socialistes. En 1920, la crise de l’après-guerre devient une crise de
régime. Question agraire, question des salaires et du coût de la vie, politique
financière, politique de la production, on est à la croisée des chemins et les
travailleurs le sentent, le voient aussi bien que le patronat, les financiers, les
milieux gouvernementaux. En substance, on a le choix entre deux sortes de
solutions : les solutions socialistes qui imposent des modifications
décisives sur le plan de la propriété et de la répartition du revenu national, et
les solutions réactionnaires, dont personne n’ose parler à haute voix, car
elles sous-entendent désormais la dictature contre les travailleurs, c’est-à-dire
contre l’immense majorité de la nation.
Mussolini, exclu du parti socialiste par suite de son
attitude belliciste, a pu lancer le
Popolo
d’Italia
[192] ,
avec les fonds que lui a fournis une puissance intéressée à l’entrée en guerre
de l’Italie. Il forme en 1919, à Milan, avec deux cents auditeurs, son Faisceau
de combat dont le programme en quatorze points est nettement révolutionnaire, dans
l’incohérence, il est vrai. En voici les principaux articles :
« 1) Constituante nationale, section italienne de la
constituante internationale des Peuples… 2) République. Décentralisation.
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