Retour à l'Ouest
petites frontières barbelées, les vilaines petites
haines indispensables aux privilèges et aux frontières – sinon la mystique des
races ? Peu importe que le concept même de race ne résiste à aucun examen,
il n’est que d’appliquer aux savants le régime de la trique et de la confiture.
Or, la mystique des races se doit d’être prudente : on ne saurait chauffer
trop à blanc l’Allemand contre l’Anglais, car l’Anglais est puissant. Le seul
peuple que l’on puisse persécuter impunément est celui qui, n’ayant plus de
territoire, n’a d’autre puissance que sa capacité de travail. Faute de
comprendre ces choses simples, un écrivain démoralisé touche aujourd’hui le
fond de la nuit la plus sordide.
Francesco Ghezzi
15 janvier 1938
Trop souvent, dans ces colonnes, il m’est arrivé d’adresser
un adieu à des morts, et trop souvent aussi à des morts suppliciés… Tel est le
temps présent. Qu’il me soit permis de parler aujourd’hui d’un ami assez
probablement vivant et que l’on devrait pouvoir sauver, dès lors…
C’est en 1921, à Moscou, que je rencontrai Francesco
Ghezzi , alors réfugié dans la première république socialiste du monde [185] . Je n’oublierai
jamais son dur et fier visage anguleux, au front bombé, l’ardeur de son regard
et de sa parole. Je devais le voir s’user, vieillir même en peu d’années, maigrir,
passer par une foule d’épreuves : mais gardant et toute sa foi ouvrière et
tout son courage de militant.
Il avait été, dans l’Italie effervescente de l’après-guerre,
un des militants les plus actifs de l’Union syndicale, vaste organisation
syndicaliste à tendance libertaire [186] .
Inculpé à la suite d’un attentat (commis par d’autres…) à Milan, au théâtre
Diana [187] ,
Ghezzi se rendit en Russie où il assista au 1 er congrès de l’Internationale
des syndicats rouges [188] .
Puis, il voulut vivre en Allemagne, mais y fut arrêté sur la demande du
gouvernement italien. Bien qu’il ne fût pas communiste, loin de là, le gouvernement
soviétique le réclama et lui offrit l’asile. L’URSS, en ces temps lointains, offrait
généreusement l’hospitalité à tous les proscrits, pourvu qu’ils appartinssent à
la cause de la liberté.
Francesco Ghezzi se fixa à Moscou. Dédaignant les bons emplois
administratifs qui eussent engagé sa conscience, il préféra demeurer un ouvrier
d’usine. Il connut le chômage. Je l’ai vu vivre avec des allocations de 27
roubles par mois à une époque où les fonctionnaires du parti touchaient 225
roubles, ce qu’on estimait être un traitement minimum (les spécialistes sans
parti gagnaient davantage). Il continuait à militer à sa façon, prenant la
parole dans les assemblées d’usine, fréquentant les syndicalistes étrangers de
passage à Moscou, correspondant avec l’Amérique et l’Europe, jouissant auprès
de tous ceux qui le rencontraient d’une autorité grandissante, due à une
intelligence claire et à un sentiment, indéfectiblement éveillé, de l’intérêt
ouvrier.
On l’arrêta en 1929. Il disparut sans procès, sans défense, mystérieusement
envoyé à la prison de Souzdal, vieux monastère où dès le XVI e siècle
on enfermait les hérétiques. L’affaire Ghezzi eut alors un grand retentissement.
Le délit d’opinion était flagrant, l’homme, un probe révolutionnaire, n’offrait
prise à aucune calomnie. D’immenses espérances se rattachaient à l’URSS, pour
une foule d’hommes épris de liberté, qui s’étonnèrent qu’un Ghezzi pût
connaître la prison douze ans après la victoire de la révolution d’Octobre. D’une
protestation d’intellectuels publiée à cette époque, j’extrais ces lignes
éloquentes :
« Nous demandons que Francesco Ghezzi soit libéré
immédiatement et qu’il soit autorisé à aller vivre à l’étranger si bon lui
semble. Nul doute qu’il n’y reste ce qu’il a toujours été : le compagnon
de tous ceux qui luttent pour l’émancipation de la classe ouvrière et l’avènement
d’une société prolétarienne.
Romain Rolland , Édouard Autant, M me Autant-Lara,
Jean-Richard Bloch, Félicien Challaye, Georges Duhamel, Luc
Durtain , J. Grandjouan, Panaït Istrati, Charles-André Julien, P. Langevin, Marcel
Martinet, Frans Masereel, Mathias Morhardt, Charles Vildrac, Andrée Viollis, Léon
Werth… »
Ghezzi nous fut rendu au début de la révolution espagnole, parce
que ses amis de la
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