Retour à l'Ouest
économiques et sociaux sous peine de tomber
aussitôt dans une rhétorique périmée.
« Espagne, Creuset politique » *
18-19 février 1939
Comment l’Espagne ouvrière, si puissante et si courageuse, avec
ses mineurs des Asturies, qui soutinrent deux âpres guerres civiles en moins de
trois ans, et son prolétariat catalan victorieux – les mains nues – le 19
juillet 1936, d’une armée factieuse, victorieux plus tard en Aragon, victorieux
à Madrid avec la colonne Durutti, comment cette Espagne magnifique a-t-elle pu
subir les défaites que nous savons ? Pourquoi la Catalogne est-elle tombée ?
On ne cessera pas de longtemps de se poser ces questions. Il
est trop tôt encore pour leur esquisser une réponse à propos de la défaite de
Catalogne, dont les causes immédiates nous apparaissent assez obscures. Mais
sur les causes profondes de la situation présente dans son ensemble – situation
très grave, sans être désespérée – on trouvera quelques lumières dans un livre
tout à fait remarquable que je tiens à recommander ici :
Espagne, creuset politique
par Henri
Rabasseire (Éditions Fustier, Paris, 20 fr.) [278] .
L’auteur signe d’un pseudonyme transparent et qui situe ses sympathies : les
rabassaires sont de petits cultivateurs catalans en lesquels les organisations
ouvrières les plus avancées ont trouvé de bons alliés. L’auteur possède à fond
et de première main le sujet qu’il traite. Peut-être mieux informé sur
Barcelone que sur Valence et Madrid, il paraît avoir été proche des dirigeants
de la CNT, ce qui ne l’empêche pas d’exposer la politique des anarchistes avec
beaucoup d’objectivité, je veux dire sans en celer les lourdes erreurs. Pas de
développements littéraires dans cet ouvrage, mais une documentation abondante
et claire.
A-t-il été assez question, dans la presse des deux mondes, des
« excès anarchistes » du début ! Des excès, il y en eut. Les
ouvriers libertaires réglèrent promptement, au lendemain de la sédition, de
vieux comptes pendants avec des hommes qu’ils connaissaient comme leurs ennemis
mortels. N’oublions pas que la guerre civile avait été préparée par une longue
série d’attentats systématiques commis par les gens de droite contre les
militants ouvriers et les hommes gauche. L’assassinat du leader monarchiste
Calvo Sotelo, par des gardes civils républicains, assassinat qui semble avoir
hâté le coup de force de Franco, répondait à l’assassinat d’un officier républicain
des gardes civils, le lieutenant Castillo. Retenons que les syndicats de
Catalogne, libertaires en majorité, surent mettre eux-mêmes un terme aux excès ;
et que ce sont leurs « patrouilles de contrôle » qui établirent dans
le pays un ordre nouveau. Si par la suite le gouvernement central et les partis
bourgeois et stalinien exigèrent la dissolution de ces patrouilles de contrôle
– non sans leur imputer quelques fois les désordres qu’elles avaient, en
réalité, fait cesser – ce fut parce qu’elles constituaient les éléments d’un
pouvoir ouvrier jugé trop révolutionnaire. Et nous touchons ici à l’une des
causes lointaines et profondes de la défaite de la Catalogne. Barcelone était, en
Espagne, la cité rouge par excellence. La CNT, dirigée par la Fédération
anarchiste ibérique, y exerçait une influence prépondérante ; les
marxistes révolutionnaires du POUM, les seuls quelque peu influents au début, y
étaient antistaliniens et partisans des mesures révolutionnaires les plus
radicales. Pour ces raisons, les éléments conservateurs de la République, bientôt
renforcés par les staliniens qui formèrent leur aile marchante la plus active, freinèrent
l’armement de la Catalogne, freinèrent le développement de ses industries de
guerre, lui refusèrent les crédits. Et quand enfin, grâce à l’action des
staliniens, les républicains conservateurs l’emportèrent en Catalogne même sur
la classe ouvrière, ce ne fut pas sans un véritable commencement de guerre
civile au sein de la République : les sanglantes journées de mai 1937. On
sait qu’à Madrid, l’ambassadeur de l’URSS, Rosenberg (aujourd’hui
disparu à Moscou), empêcha Largo Caballero de constituer un gouvernement
ouvrier syndical qui eût vraisemblablement été socialement beaucoup plus fort
dans la guerre antifasciste que les gouvernements parlementaires. On sait qu’à
Barcelone, Antonov-Ovseenko, consul général de
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