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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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syndicat est une
coalition d’intérêts ; il admet tous les travailleurs, tenant compte de
leurs conditions bien plus que de leur conviction. Mais pour en faire un moyen
d’émancipation sociale, il faut bien que quelques-uns de ses membres prennent
conscience des intérêts les plus généraux, les plus élevés, non d’une
corporation mais de tous les travailleurs (et dès lors de la société entière), et
s’organisent, cette fois sur le terrain d’une action plus vaste, tendant à
transformer la société entière, s’organisent donc sur le terrain des
convictions politiques. Le syndicalisme apolitique et même antipolitique d’Espagne
a fini ainsi par se doubler d’un véritable parti politique et l’on a vu la CNT,
centrale syndicale gouvernée en réalité par la FAI (Fédération anarchiste
ibérique), participer – fort maladroitement du reste – à des gouvernements de
guerre civile…
    Édouard Berth meurt avant d’avoir pu tirer la leçon de ces
tragiques épisodes. Il avait prévu bien des choses : le seul titre de l’un
de ses livres, publié il a une dizaine d’années, l’atteste :
Guerre des États ou guerre des classes
 ?
Il y montrait, à la lumière des
brasiers, encore magnifiques, de la République des Soviets, les guerres de
classes succédant aux guerres d’État… Et nous voyons, en Espagne dévastée, la
guerre des classes revêtir, par l’intervention des États (qui sont tous des
États de classe
) une forme mixte :
à la fois guerre civile, guerre d’États, conflit d’impérialisme…
    Qu’il soit impossible d’évoquer l’homme, avec l’inexprimable
serrement de cœur d’un dernier adieu, nous poser à la fois tous les grands
problèmes du socialisme, cela montre bien que son œuvre continuera de s’intégrer
à nos recherches, qu’elle fait son chemin parmi nous, qu’elle survit au disparu
– car la seule grandeur réelle de l’homme périssable est dans le service de l’intelligence
et de la justice impérissables. À cette grandeur-là, Édouard Berth n’a jamais
manqué.

Deux conceptions de l’histoire
    11-12 février 1939
    Deux conceptions de l’histoire continuent à s’opposer l’une
à l’autre dans les esprits : la vieille conception idéaliste ou
psychologique qui attribue les actions des hommes à leurs idées, à leurs
caractères, et fait volontiers intervenir dans les événements le hasard, la
fatalité, le destin, trois masques mal repeints de la Providence des croyants, trois
formules poétiques en réalité, faites pour dissimuler des aveux d’ignorance et,
plus encore, la paresse de la pensée ; –, et la conception scientifique, qui
est aussi la conception socialiste puisque, pressentie par des historiens tels
que Guizot et Thiers, elle fut précisée pour la première fois avec puissance
par Karl Marx et Friedrich Engels.
    Il faut bien y revenir, à l’occasion, et confronter les deux
méthodes. Nous sommes tous les témoins et les acteurs de l’histoire à une
époque de vastes bouleversements ; l’incapacité de comprendre les
événements nous met en état d’infériorité sitôt que nous sommes obligés d’y
intervenir. Niera-t-on que l’intelligence des causes de la défaite de Catalogne
ne soit extrêmement importante pour le salut de l’Espagne antifasciste comme
pour le développement du mouvement ouvrier ? Je n’entends pas, toutefois, traiter
aujourd’hui ce grave sujet. Le conflit des deux méthodes m’est apparu, une fois
de plus, dans l’étude d’autres tournants de l’histoire, en feuilletant un beau
livre de Stefan Zweig :
Les Heures
étoilées de l’humanité
[277] .
    Zweig écrit en poète. Ajouterai-je : en poète d’une
école d’histoire dépassée ? Car le plus haut lyrisme se nourrit de l’interprétation
passionnée de la réalité, non de conventions verbales ou sentimentales qui « ne
sont que littérature… » Le spectacle du passé nous émeut d’autant plus que
nous le comprenons plus réellement.
    Zweig consacre quelques pages à décrire la prise de Byzance
par les Turcs en 1453. Il l’attribue à la division de la chrétienté, à l’indifférence
de l’Occident, à la nature entreprenante d’un jeune sultan, par-dessus tout à
une obscure fatalité. Il néglige la rivalité commerciale de l’Orient chrétien
finissant et des grands ports méditerranéens. Venise ne fut pas pressée de
secourir Constantinople qui était quelque peu sa rivale. Les croisés

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