Retour à l'Ouest
étrangère. Faire
poignarder la classe ouvrière par la Légion étrangère, c’est sur cette fière
idée-là que les généraux ont fini par jouer leur va-tout.
En revanche, le Front populaire peut compter sur l’appui des
masses laborieuses inorganisées, dont l’esprit de solidarité et la combativité
ne sont pas à mettre en doute ; à l’armée, sur les soldats originaires des
régions industrielles et des provinces où le mouvement agraire a revêtu une
forme nette ; et même sur certains éléments bourgeois qui n’entendent pas
lier leur sort à la réaction, comprenant peut-être mieux que les autres quel
peut être l’enjeu véritable d’une guerre civile dans laquelle toutes les
chances semblent bien être du coté des masses.
L’Esprit européen *
8-9 août 1936
Les
Nouvelles
Littéraires
ayant eu la bonne idée de demander à des intellectuels
de différents pays du monde s’il existe bien, à leur avis, un esprit européen, ont
reçu nombre de réponses intéressantes. J’en ai quelques-unes sous les yeux.
M. Norman Angell , grand pacifiste
anglais, estime que « nul homme ne peut à coup sûr dire si un esprit
européen existe ou non, ou bien encore à quel degré il peut exister »… Pour
mon camarade de Moscou, Boris Pilniak, « la notion d’esprit européen est abstraite
et n’a jamais eu de contenu réel ». Heinrich Mann, romancier exilé d’Allemagne,
estime que « l’esprit européen est en formation… » Pour Stefan Zweig,
« l’esprit européen est encore à l’état latent ». Pour Salvador de
Madariaga, romancier et politique espagnol, « l’esprit européen existe, caractérisé
par la prépondérance de l’intelligence et de la volonté ». Si M. Salvador
de Madariaga est en ce moment à Madrid, il lui suffit, je suppose, d’ouvrir la
fenêtre pour voir des hommes d’intelligence et de volonté défendre leur pain, leur
vie, l’avenir du monde et par surcroît l’esprit européen… Et nous voici au cœur
du problème.
À parcourir ces réponses, on est surpris d’y voir négliger
les plus importantes données réelles. L’Europe n’est plus une notion géographique :
la civilisation européenne s’est étendue aux deux Amériques, à l’Australie, à
diverses régions de l’Asie et s’impose sous la forme d’une domination coloniale,
à l’Afrique. San Francisco, Chicago, Buenos-Aires, Melbourne, sont des villes
tout aussi européennes que Copenhague, Berlin, Anvers. Un seul régime de la
production et partout une seule condition humaine, dont les variations, pour
importantes qu’elles soient, sont infiniment moins profondes que l’unité. Les
subtilités les plus justes sur le tempérament national, l’esprit latin, germanique,
slave, anglo-saxon, américain du Nord ou du Sud ne sauraient prévaloir contre
des vérités aussi premières que celles-ci : la condition du chômeur
français ressemble bien davantage à celle du chômeur new-yorkais qu’à celle du
rentier, du bourgeois, du millionnaire parisien ; il y a plusieurs
conditions humaines, assez indépendantes des frontières d’états et même des
limites continentales.
L’univers européen, c’est la civilisation qui, continuant
les sociétés méditerranéennes – la Grèce et Rome – traversa la grande
révolution chrétienne, vit naître au XVI e siècle, par suite de
circonstances qui jusqu’alors ne s’étaient pas présentées au cours des
millénaires, les premiers germes d’un système de la production fondé sur les
échanges commerciaux, l’accumulation des capitaux, la technique industrielle (le
tout reposant sur l’exploitation du travail salarié) et parvint, par la
révolution industrielle du XIX e siècle, à maîtriser la nature comme
jamais elle ne l’avait été auparavant. On voit que cette civilisation, dont l’Europe
fut le berceau, ne peut être appelée dans l’histoire que d’un seul nom : la
civilisation capitaliste. Elle subit en ce moment une crise qui n’est pas près
de finir et dont les hésitations de pensée de ses intellectuels ne sont qu’une
manifestation très superficielle, beaucoup moins importante probablement que
les combats qui se livrent aujourd’hui aux environs de Saragosse.
Si nous nous demandons quelles ont été, à travers les
siècles, les expressions spirituelles de la civilisation européenne, nous en
apercevons trois : le christianisme, la révolution française, le
socialisme. Le christianisme
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