Retour à l'Ouest
personne – car le sang et les ruines ne leur coûtent
guère –, ils ont pris l’offensive en Espagne. La sédition militaire des Franco, Mola , Queipo de Llano , Goded semble
bien avoir été préparée avec des appuis sérieux à l’étranger. Le jour même où l’Italie
démentait l’envoi d’avions au Maroc, plusieurs avions italiens tombaient en
Algérie [49] .
D’Allemagne, d’Italie, du Portugal, les volontaires, les instructeurs, le
matériel de guerre, les avions arrivent chaque jour aux fascistes d’Espagne. Si
les généraux, délaissant momentanément tout autre objectif stratégique, concentrent
leurs efforts sur la région frontière du Portugal, c’est pour plus librement se
ravitailler grâce à la complicité nullement dissimulée du dictateur Salazar. Plus
encore que pour des raisons de politique étrangère (l’encerclement de la France),
pour des raisons de politique sociale ou plus exactement de guerre des classes,
l’Espagne est aujourd’hui aux yeux des stratèges du fascisme la position décisive
qu’il faut conquérir à tout prix. C’est, du fait de la puissance des
travailleurs, le point vulnérable de la réaction en Occident, le pays où la
dictature militaire a déjà connu une faillite retentissante avec Primo de Rivera , le pays qui a chassé les Bourbons en
pleine crise mondiale, le pays où l’avance de la classe ouvrière menace l’Église
dans ses richesses, la féodalité agrarienne dans ses propriétés, les généraux
dans leur raison d’être. Par sa situation dans la Méditerranée comme par son
voisinage avec la France, la victoire de l’Espagne démocratique – et c’est dire
l’Espagne ouvrière – affermirait les démocraties d’Occident, y stimulerait
magnifiquement l’initiative ouvrière et signifierait pour le peuple italien un
exemple et un espoir. La défaite de l’Espagne des travailleurs briserait par
contre l’élan des classes laborieuses convalescentes dans les pays d’Occident. C’est
donc bien les destinées de la civilisation occidentale, représentées le mieux
par le socialisme international, que défendent aujourd’hui les milices ouvrières
de là-bas. Notre sort à tous est en quelque façon lié au leur. Jamais encore la
solidarité la plus complète et la plus agissante ne nous fut commandée par des
intérêts plus élevés.
Misère d’Unamuno *
22-23 août 1936
Miguel de Unamuno, recteur de l’Université de Salamanque, auteur
de poèmes, de nouvelles, d’essais et d’un grand livre de philosophie religieuse,
Le Sentiment tragique de la Vie
,
était jusqu’à ces jours derniers une des plus hautes autorités intellectuelles
et morales de l’Espagne.
La dictature de Primo de Rivera l’exila en 1922 aux Canaries.
Des amis facilitèrent son évasion en canot automobile. Il se réfugia à Paris. On
le vit, maigre vieillard au pur visage ascétique et spirituel, dans les cafés
littéraires de Montparnasse. Barbusse, plus en quête de noms illustres que de
clarté dans les idées, en fit un membre, platonique, il est vrai, du comité de
rédaction de
Monde
. Le
mystique Unamuno devint un homme de gauche. La révolution lui décerna à son
retour à Salamanque, les honneurs les plus affectueux… Il vient de se rallier
formellement aux généraux Franco, Mola, de Llano, aux fusilleurs de Badajoz, qui
se sont déclarés prêts à massacrer la moitié de leur peuple pour asservir l’autre,
aux patriotes qui couvrent leur patrie de ruines fumantes, aux soldats très
catholiques qui entendent la messe avant et après l’égorgement des prisonniers,
aux hommes d’autorité qui de leur serment ont fait un guet-apens…
Et je trouve, cité dans un journal, ce mot du vieil Unamuno
sur les travailleurs d’Espagne : « Ils brûlent les églises par
désespoir de ne croire à rien ! »
Misère des grandes consciences, misère des intellectuels
aveuglés par l’esprit de classe ! Faut-il posséder tant de connaissances, avoir
passé une longue vie dans le tourment de la pensée pour en arriver là ? Pour
être si loin du sentiment tragique de la vie – non de l’homme tout court qui
ressemble assez à une abstraction – mais de la vie des travailleurs ? Faut-il
être aveuglé par une foi morte à la réalité pour ne pas voir quelle foi vivante
anime les masses d’aujourd’hui dans les conflits sociaux où elles défendent
toutes leurs raisons de vivre ? Faut-il avoir oublié l’Évangile
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